La biographie de Mme de Villedieu revisitée (2014)

portrait de Madame de Villedieu

Christian Foreau, directeur des Affaires culturelles de Nogent-le-Rotrou, propose un éclairage historique inédit sur Guillaume Desjardins, le père de Mme de Villedieu, propre à résoudre un certain nombre d'incertitudes biographiques portant sur la femme de lettres et sa famille (lieu de naissance, confession, fratrie…).

 

L'ESPRIT AVENTUREUX DU PÈRE DE MARIE-CATHERINE DE VILLEDIEU

 

Guillaume Desjardins, sieur de Saint-Val, originaire de la Basse-Normandie où son père est échevin à Alençon, est animé très tôt par un désir d'aventures. En 1633, on le retrouve à La Rochelle [1] où il est il désigné secrétaire et intendant du sieur de La Tour [2], mais aussi louant un bateau - « le Renard noir » - à Antoine Cheffault, de la compagnie de la Nouvelle-France, pour faire le voyage en Acadie [3]. En 1636, il est toujours intendant, mais aussi contrôleur provincial des guerres à La Rochelle. Très vite, il s'est inséré dans le milieu commerçant rochelais où il arrive à s'imposer auprès de Charles de Saint-Étienne de La Tour, gouverneur et lieutenant général pour sa majesté de toute la côte et la province de l'Acadie, et à remplacer les deux notables marchands et protestants rochelais avec qui celui-ci menait ses affaires.


Un homme de confiance

Guillaume Desjardins assure très activement le recrutement d'hommes destinés à peupler les colonies pour le compte de Charles de Saint-Étienne de La Tour, notamment pendant les années 1640 à 1643, lesquels embarqueront sur les navires «L'Amitié», «Le Jacques», «Le Saint-Pierre», ou encore «Le Saint-Clément». Il est présent lors de la signature de contrats et participe au versement de l'avance faite, au même moment, aux futurs colons en partance pour la Nouvelle-France.

De toute évidence, Guillaume Desjardins est un homme en qui le gouverneur de l'Acadie a mis sa confiance puisqu'il sera chargé tant de ses affaires commerciales que de ses affaires privées. Il eut pour mission de lui trouver une épouse. Le choix se portera sur Françoise-Marie Jacquelin, née le 18 juillet 1621 à Nogent-Le-Rotrou, fille d'Hélène Lerminier et de Jacques Jacquelin, docteur en médecine. Un contrat de mariage fut établi le 31 décembre 1639 à Paris [4] et fut signé en l'absence du futur époux par Guillaume Desjardins, sieur de Saint-Val, capitaine de marine pour le roi. On ignore si le choix de la future épouse fut établi grâce à des liens familiaux ou relationnels car celle-ci, originaire du Perche, résidait donc assez peu loin d'Alençon, où vécut Guillaume Desjardins pendant son enfance.

Pour accomplir cette tâche, ce dernier était porteur d'une procuration provenant du port Saint-Louis, fort de La Tour, lieu de résidence de Charles de Saint-Étienne de La Tour en Acadie, datée du 19 août 1639. Elle stipulait que Guillaume Desjardins avait pouvoir de représenter le sieur La Tour là où sont ses intérêts, et particulièrement de rechercher une épouse tout en s'engageant à ce que le mariage soit célébré selon le rite catholique. D'ailleurs, deux frères capucins signèrent cet acte pour sceller l'engagement. Desjardins se devait d'accomplir cette mission le plus rapidement possible puisqu'il était précisé qu'il devait revenir avec la future mariée d'ici à la fin de l'année 1639, ou au début de l'année suivante, si possible. L'épouse de Guillaume Desjardins, Catherine Ferrand, fut sollicitée pour être témoin du mariage, dont la cérémonie se déroula en 1640 à Port Royal en Acadie.


Un fort ancrage rochelais

Selon toute apparence, la ville de La Rochelle est, à cette époque, le lieu de résidence principale de la famille car Guillaume Desjardins y mène une vie très active tout en se rendant régulièrement en Acadie. On ne retrouve pas pour autant trace de la future Marie-Catherine de Villedieu sur les terres de la Nouvelle-France.

L'implantation rochelaise est attestée par différents actes d'état civil de la paroisse Saint-Barthélemy [5]. Le jour de saint Martin, le 10 novembre 1640, est baptisé Denys Antoine, fils d'André Gedouin, écuyer. Le parrain, Antoine de Boismartin est aussi noble, et la marraine n'est autre que Catherine Ferrand, femme de Guillaume Desjardins, désigné aussi écuyer, sieur de Saint-Val. Cet enfant né le 21 juillet 1639 avait d'ailleurs déjà été baptisé une première fois, en l'absence de ses parrain et marraine, en toute urgence, le 9 août 1639, car il semblait ne pouvoir survivre.

Un événement malheureux survient au cours de l'année 1642. Les époux Desjardins inhument le 10 avril une fillette âgée de 28 mois, non prénommée, pour laquelle il est mentionné, étonnamment, qu'elle n'avait pas encore reçu les sacrements du baptême. Les fréquents déplacements du père, notamment en Nouvelle-France, en furent peut-être la cause. En tout cas, cette sépulture porte la famille Desjardins à quatre enfants, et non trois, ainsi que l'indiquent les biographes de Mme de Villedieu.

Lors d'une cérémonie qui se déroula le 14 janvier 1642 dans la paroisse de Saint-Barthélemy de La Rochelle, c'est la toute jeune Marie-Catherine Desjardins qui devient marraine d'Antoine, fils de Michel Gilles, maître tailleur d'habit, et de Barbe Aymard (ou Esnard). Cette sollicitation de «marrainage», qui résonne comme une reconnaissance sociale, est faite vraisemblablement directement auprès des parents, puisque Marie-Catherine n'a que trois ans environ et que sa mère a répondu et signé pour elle.

Le premier jour de septembre 1642, Catherine Ferrand et Guillaume Desjardins sont témoins et signataires du mariage d'Estienne de Mourron, capitaine pour le roi en la marine, désigné noble homme, et de Jeanne Ferrand, fille de Guillaume Ferrand et de Marie Pineau. Cet acte confirme, par la nomination des parents, que Jeanne Ferrand est bel et bien la sœur de Catherine. De plus, Estienne de Mourron était marchand et faisait aussi des affaires avec Charles de Saint-Étienne de La Tour. Ce fut donc peut-être lui qui fut à l'origine de l'arrivée de la famille Desjardins à La Rochelle. Le 2 août 1646, Guillaume Desjardins, désigné cette fois simplement noble homme et non écuyer, devient le parrain d'Étienne, fils d'Estienne de Mourron et Jeanne Ferrand.

Ces différents événements confirment l'intégration de la famille Desjardins dans le milieu rochelais, tant dans la bourgeoisie commerçante que dans le milieu de la noblesse locale, et permettent de penser qu'elle y résidait depuis un certain temps. Aussi, on peut considérer, même si aucun acte de naissance n'a été retrouvé dans l'état civil rochelais, incomplet, que Marie-Catherine Desjardins peut être tout autant, voire plus vraisemblablement, née à La Rochelle qu'à Alençon ou Paris, comme il est courant de le lire dans les notices biographiques. De plus, ces actes d'état civil mentionnés dans les registres de la paroisse Saint-Barthélemy attestent la confession catholique de la famille Desjardins. Il semble invraisemblable, par exemple, qu'une fillette protestante soit liée de manière si proche à un baptême catholique. De plus, son père, tout comme le sieur La Tour, fréquente régulièrement les moines capucins installés notamment à Port Royal en Acadie.

On pourrait penser qu'il y a eu abjuration de la religion protestante, comme cela s'est produit pour un certain nombre de protestants de La Rochelle mentionnés dans les archives d'état civil entre 1630 et 1639, mais aucun élément ne permet de le certifier.


Les démêlés acadiens

Si l'implantation de Guillaume Desjardins à La Rochelle est attestée et si ses liens avec le sieur La Tour sont très forts, sa situation reste toutefois soumise à celle de son protecteur. Il subit donc directement les conséquences des vicissitudes de son employeur.

Une lutte de pouvoir éclata en Acadie entre Charles Menou d'Aulnay et le sieur La Tour, provoquant un véritable état de guerre entre les deux hommes. Cette lutte portait autant sur les fonctions de chacun d'entre eux en Acadie que sur leurs activités commerciales concurrentielles, notamment celle des peaux importées sur le continent français, ou encore sur leurs propriétés. La possession du fort de Pentagouet fut l'un des motifs qui déclencha ou accéléra les hostilités. Charles de Saint-Étienne de La Tour attaqua en 1640 un navire de Menou d'Aulnay avec deux petites embarcations munies d'hommes et de canons. Cette agression imprudente tourna au désavantage du sieur La Tour qui fut fait prisonnier avec Desjardins et les hommes de l'équipage. L'intervention de moines capucins permit un accord pour leur libération pendant que l'affaire était portée en France.

Menou d'Aulnay se plaignit au roi de France, vraisemblablement avec le soutien de son père, conseiller d'État. Le sieur La Tour ne jugea pas nécessaire de venir s'en expliquer, ainsi qu'on lui en avait donné l'ordre. Il décida de rester en Acadie et de défendre ses biens et possessions malgré des difficultés. En effet, les arrêts royaux des 25 janvier et 7 août 1641 interdisaient à quiconque de lui porter secours. Heureusement, sa femme, Françoise-Marie Jacquelin, et son représentant rochelais, Guillaume Desjardins, continuèrent à le ravitailler. Ce n'était pas sans risque pour ce dernier qui encourait l'arrestation à tout moment. Le sieur La Tour se vit même retirer son pouvoir de lieutenant général ainsi que sa charge et commandement du fort Louis du port de la Tour et de la cote d'Acadie par le roi [6]. Il en fut informé par sa femme qui lui écrivit le 21 mars 1641 « de ne point obéïr aux ordres du roi, mais d'envoyer un puissant retour à Desjardins, afin qu'il lui renvoyât de puissants secours ». Un vaisseau était en effet parti de La Rochelle pour le fort Saint-Jean, et le 7 août, le Conseil du roi rendit un arrêt portant « que certain navire envoyé par ledit Desjardins au dit La Tour seroit saisi et arrêté lorsqu'il se trouveroit à la Rochelle ou ailleurs ».

Devant cette situation qui semblait inextricable et qui portait préjudice aux intérêts du pays comme au pouvoir du roi, et suite à la venue de Menou d'Aulnay à Paris, deux autres arrêts seront pris contre La Tour et Desjardins le 21 février 1642. Le premier statuera que Desjardins « seroit pris au corps et conduit à prison à Fort l'Evêque pour être procédé extraordinairement contre lui ». Il est précisé qu'« inhibition et défenses [sont faites] à tous maîtres de navires et toutes autres personnes de porter ni envoyer aucunes sommes, vivres, munitions ou marchandises audit La Tour ou de rapporter dudit pays d'Acadie par deça aucunes marchandises appartenant audit La Tour ou par ses ordres ou de ses complices et adhérents, sous peine de confiscation, d'amende et de punition corporelle selon l'exigence du cas ». Dans le second arrêt, il est indiqué que « La Tour au préjudice et mépris de la volonté de Sa Majesté à lui certifiée, continuoit, autant qu'il pouvoit, l'exercice de sa charge et commission, et tenant en confusion et désordre les affaires dudit pays d'Acadie, et par ses malversations et mauvais comportements empêchoit le progrès et avancement de la religion chrétienne parmi les sauvages, du service de Sa Majesté et de l'établissement de la colonie ». Il est donc ordonné que Charles de Saint-Étienne de La Tour « seroit pris au corps et constitué prisonnier pour être amené et conduit en France, pour être ouï et répondre que les faits et cas à lui imposés, tous ses biens saisis et arrêtés ». Il était aussi fait défense « à toutes personnes d'obéïr, ni rendre ou prêter aucune assistance audit La Tour sous peine de punition corporelle selon l'exigence des cas » [7].
Menou d'Aulnay s'en retourna en Acadie chargé de faire appliquer la décision royale en se garantissant de copies authentiques des arrêts du Conseil, qu'il fit présenter par des émissaires. Ceux-ci furent jetés en prison par le sieur La Tour et y restèrent du 17 août 1642 jusqu'au 3 septembre 1643, avant d'être renvoyés en France.

Menou d'Aulnay continua le blocus à l'embouchure de la rivière Saint-Jean afin d'empêcher toute activité de la part du sieur La Tour. Desjardins arma donc en 1643 le navire « Le Saint-Clément », dont il était propriétaire, avec 45 engagés pour le sieur La Tour sur les 140 personnes à bord. Le sieur La Tour réussit à rejoindre le Saint-Clément de nuit et à aller solliciter les Anglais dans la baie du Massachusetts afin d'avoir leur soutien. Cette alliance jettera le discrédit sur le sieur La Tour auprès de la cour. Il se fit accuser de rébellion et de trahison par son ennemi, lequel obtint un nouvel arrêt en sa faveur le 6 mars 1644.

Charles Menou d'Aulnay et Charles de Saint-Étienne de La Tour n'auront de cesse de se combattre mais cette lutte de pouvoir prendra fin suite à la victoire militaire décisive du premier, par la capture du fort La Tour sur le fleuve Saint-Jean, en 1645. Charles de Menou d'Aulnay sera définitivement nommé en 1647 gouverneur de toute la région d'Acadie.


Le retour en Normandie

La destitution du sieur La Tour va très vite mettre en péril les activités commerciales de Guillaume Desjardins avec le nouveau monde et stoppera irrémédiablement son influence dans le milieu rochelais. C'est ce qui motivera sans doute l'installation en 1648 de la famille Desjardins à Alençon, laquelle résidera aussi en partie à Paris si l'on en juge la précision apportée par les actes signés par Guillaume Desjardins, désigné « Conseiller du roy, commissaire de ses guerres, demeurant à Paris, rue de Saint Thomas-du-Louvre, paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois, forbourg de Montsort pour ses affaires » [8].

Les Desjardins entretiennent néanmoins une vie sociale régulière à Alençon. Catherine Ferrand est notamment marraine dans la paroisse Notre-Dame le 22 décembre 1649. Elle y est à nouveau le 11 janvier 1652, dans la paroisse de Montsort, aux côtés de François Le Noir, parrain et conseiller du roi au présidial d'Alençon. La jeune Marie-Catherine Desjardins est aussi marraine le 15 avril 1653, puis le 16 janvier 1654.

Cette vie alençonnaise s'arrêta brutalement avec le dépôt de plainte du 22 février 1655 par Guillaume et sa femme contre François Desjardins de Saint-Val, leur neveu, « qui avait extorqué par violence, indiction ou autres pernicieuses voies, à leur fille à présent âgée seulement de 15 ans, un consentement pour céder mariage, nonobstant leur consanguinité ; ce qui est une criminelle désobéissance de la dite fille aux intentions et volontés de ses père et mère » [9] .

De son côté, Guillaume Desjardins avait obtenu en 1649, par ordre et arrêts du Conseil du roi, la direction des coupes, revenus, amendes et confiscations de la forêt de Perseigne près d'Alençon. En 1650, il reçoit sa part de succession de son père en percevant 650 livres. Il obtiendra aussi la charge anoblissante de commissaire des guerres, puis achètera la terre de Clinchemore en 1655, juste avant que son épouse ne décide une séparation des biens en lui demandant de restituer les 29 587 livres qu'elle avait apportées lors du mariage. Malgré tous ces déboires, il achète le 7 avril 1659 l'office anoblissant de « vice-bailli, prévôt, lieutenant de robe courte de la ville d'Alençon » pour 1200 livres, ce qui lui causera de nouveaux procès avec ses créanciers [10]. Il sera même emprisonné pour dettes en 1661. Le 13 avril 1665, il reconnaît devant un notaire d'Alençon devoir toujours les 29 587 livres à son épouse avec les intérêts depuis 1655. Il lui cédera, contraint et forcé, sa propriété de Clinchemore, ainsi que les terres de Verzé et la Duiguette à Saint-Rémy, proche de son domicile de Perseigne, qu'il avait acquis depuis lors. Il mourut vraisemblablement dans le plus grand dénuement en 1668.

Christian Foreau

[1] M. Delafosse, « La Rochelle et le Canada au XVIIe siècle », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 4, n° 4, 1951, p. 469-511 (Institut d'histoire de l'Amérique française).

[2] Archives départementales de la Charente-Maritime, série B, Amirauté, vol. 5654, pièce 33.

[3] Archives départementales de la Charente-Maritime, série B, Amirauté, vol. 5646, pièce 106.

[4] Archives nationales, minutier des notaires, étude BEAUVAIS et BEAUFORT, cote : ET/CXIII/8.

[5] Archives départementales de la Charente-Maritime, registres d'État-civil. Remerciements particuliers à Bernard et Danielle Arrault, Christiane Bidault du Cercle de Recherche Généalogique du Perche-Gouët, et à Roland Gennerat de l'Association des Huguenots de France (Lyon) pour leurs précieux renseignements.

[6] Geneviève Massignon, « La seigneurie de Charles de Menou d'Aulnay, gouverneur de l'Acadie, 1635-1650 », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 16, n° 4, 1963, p. 475-476.

[7] Le Cabinet historique, moniteur des bibliothèques et des archives sous la direction de Louis Paris, vol. 16, 1870.

[8] Capitaine Derôme, « Madame de Villedieu inconnue. La famille des de Boesset et ses relations avec le Maine », Revue historique et archéologique du Maine, tome 72, année 1912, p. 26.

[9] Ibid.

[10] Damien Castel, « Clinchemore, histoire d'une maison de maître au XVIIe et XVIIIe siècles », Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 1987, p. 41-54.