Micheline Cuénin

portrait de Madame de VilledieuRoman et société sous Louis XIV : Madame de Villedieu (Marie-Catherine Desjardins 1640-1683) : tous ceux qui ont été amenés à travailler sur Madame de Villedieu savent combien la thèse de Micheline Cuénin s'impose en référence bibliographique majeure.

Soutenue en 1976 à Paris IV, elle n'a été diffusée que sous la forme d'une reproduction de l'Atelier des thèses de Lille (1979), ce qui fait qu'elle est aujourd'hui indisponible pour les chercheurs qui souhaiteraient non seulement aborder l'étude de la romancière, mais également celle de la vie galante et des formes romanesques dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Comme son titre l'indique, ce qui est en jeu, ce sont en effet les liens qu'ont tissés « roman et société sous Louis XIV ».

Avec l'intérêt renouvelé pour ces questions, et indépendamment de l'hommage que méritent les travaux de Micheline Cuénin, il nous est apparu que rendre à nouveau accessible cette « large fresque » serait d'une grande utilité pour toute la communauté des dix-septiémistes.

Nous remercions les Éditions Honoré Champion, qui ont bien voulu accorder au site Madame de Villedieu un droit de diffusion sur support électronique (Copyright © Éditions Honoré Champion 2007).

Nous remercions aussi Micheline Cuénin qui nous fait l'honneur et l'amitié d'autoriser cette réédition.


Roman et société sous Louis XIV. MADAME DE VILLEDIEU
(Marie-Catherine Desjardins 1640-1683)

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Compte rendu par Marie-Odile Sweetser
(PFSCL, vol. VIII, n° 14/1, 1981, p. 168-172) 

Micheline Cuénin. Roman et société sous Louis XIV. MADAME DE VILLEDIEU (Marie-Catherine Desjardins 1640-1683). Thèse de l'université de Paris IV, 1976. Lille, Atelier de reproduction des thèses, Univ. de Lille III. Diffusion : Paris, Honoré Champion, 1979. 2 vol. t. I, 724 p. ; t. II, 182 p. Bibliographie, annexes, index des noms cités. Résumé des romans de Mme de Villedieu.

Cette étude, fouillée et vivante, traitant d'un auteur de « second, voire de troisième ordre » constitue un tour de force : elle remplit avec maîtrise les multiples promesses de son titre. A travers la vie et l'œuvre d'une romancière prolifique et très aimée du public apparaissent le profil d'une société, celle des débuts du règne de Louis XIV et de l'évolution d'un genre. Mme de Villedieu prend en effet la relève de Mlle de Scudéry et de Gomberville et prépare les voies à Mme de Lafayette car son œuvre comporte de vastes romans aussi bien que des nouvelles. Noémi Hepp avait judicieusement souligné le caractère assez flou du roman de cette période, mais aussi son importance : « La charnière des XVIIe et XVIIIe siècles est une époque où le roman se cherche dans un esprit d'auto-critique... Il n'en reste pas moins que les romans du XVIIe siècle avaient rendu de grands services à la cause des Modernes. En captivant leurs nombreux lecteurs, ils avaient, de l'Astrée à La Princesse de Clèves, fourni l'exemple d'une littérature qui, sans rien devoir à la tradition classique, suscite l'enthousiasme. » (RHLF, 1977, p. 565)

La thèse de Micheline Cuénin répond donc aux vœux des érudits qui se sont attachés avec leurs élèves à explorer et à mieux faire connaître le roman au XVIIe siècle. Des éditions de textes s'avéraient indispensables. M. Cuénin avait heureusement contribué à rendre deux des œuvres romanesques les plus attachantes de Mme de Villedieu accessibles : Les Désordres de l'amour, T.L.F. (Genève : Droz, 1970), édition critique de nouvelles à cadre historique, et les Mémoires de la vie d'Henriette-Sylvie de Molière (Tours : Publications du groupe d'étude du XVIIe siècle de l'université François-Rabelais, 1977), édition en facsimile annotée d'un roman sous forme de mémoires, formule qui sera mise en avant par Mme de Lafayette à propos de La Princesse de Clèves. C'est dire la place qu'occupe Mme de Villedieu dans l'évolution du genre.

Avant d'aborder l'œuvre, M. Cuénin s'attache à faire revivre l'auteur, son milieu et son temps et y réussit admirablement. Marie-Catherine Desjardins a connu une extraordinaire carrière dans une société d'ordres. D'humble origine, elle est parvenue par son talent littéraire, par le charme de sa personnalité, par son esprit à sa faire accepter et aimer dans la haute société et dans les milieux littéraires. Le seul échec personnel fut celui de sa liaison avec Antoine Boësset, sieur de Villedieu qui après des promesses de mariage l'abandonna et, pressé sans doute par des besoins d'argent, vendit ses lettres au libraire Barbin, trop heureux de publier la correspondance d'un écrivain à la mode, malgré le refus « net » et « motivé » de cette dernière. Dans son édition critique des Lettres et Billets galants (Paris : Publications de la Société d'Étude du XVIIe siècle, 1975), M. Cuénin avait analysé cette pathétique histoire qui invitait un rapprochement avec une autre héroïne abandonnée et avec l'expression de sentiments similaires dans les Lettres portugaises.

Mlle Desjardins, étonnamment en avance sur son temps, n'avait pas hésité à rendre sa liaison publique mais avait eu la pudeur de ses sentiments intimes : elle avait formellement protesté contre la publication de sa correspondance. Tout ce qu'elle avait pu obtenir, « c'est que soit retiré du privilège le nom de l'offensée ». Lorsque le capitaine Boësset est tué devant Lille, elle adopte le nom de Mme de Villedieu, affirmant ainsi sa fidélité à un grand sentiment.

Dans l'œuvre romanesque l'auteur dégage judicieusement la part de la tradition venue de Mlle de Scudéry et de Gomberville : romans à tiroirs, cadre et personnages mythologiques ou historiques, recouvrant des personnalités contemporaines ; inspiration hispano-mauresque qui rapproche les Galanteries grenadines d'Almahide et de Zayde ; et la part véritablement personnelle et neuve : ce sont les éléments vécus, en partie autobiographiques mais modifiées par l'imagination et le rêve. Dans les Mémoires de la vie d'Henriette-Sylvie de Molière, bien avant la Nouvelle Héloïse, Mme de Villedieu crée une sorte de double « prodigieusement vivante » et obtient à travers le protagoniste une « compensation mentale » à ses malheurs et aux vicissitudes attachées à la condition féminine. D'autre part « cet ouvrage consacre la déchéance et la faillite par le ridicule des clichés héroïques » et son auteur exprime ainsi une nouvelle mentalité. Enfin la formule de l'exemplum est appliquée dans les nouvelles qui forment Les Désordres de l'amour, remarquables par le souci de fidélité à l'histoire, de vérité psychologique et de vraisemblance dans la composition, qualités qui deviendront celles du roman aux époques suivantes : Mme de Villedieu fait donc œuvre pionnière.

L'auteur cherche ensuite à découvrir les ressorts de cet univers romanesque. L'un est inspiré par l'époque, par la mode littéraire et l'esthétique gouvernant les rapports sociaux : c'est la galanterie, incarnée dans sa perfection chez le jeune monarque et dans la vie de cour. Mais plus que la galanterie, c'est l'amour qui domine l'univers romanesque de Mme de Villedieu. L'amour physique est évoqué mais reste subordonné car « la prééminence de l'esprit sur les gens est signe exprès de civilisation » (p. 486). L'apport personnel consiste à nourrir la fiction de ses observations et de ses expériences « en mettant plus particulièrement l'accent sur ce qui touche la condition et la psychologie féminines » (p. 488). « Mme de Villedieu ne cache pas son respect pour l'institution conjugale... cette romancière qu'on dit si libre ne présente dans tous ses romans aucun exemple d'infidélité féminine » (p. 563), mais elle met en valeur une « émulation incessante » d'où « naît une forme d'égalité nouvelle, celle des deux sexes devant l'amour » (p. 568).

Enfin l'art de la romancière est examiné. Elle a su observer la société contemporaine sous tous ses aspects : la Cour et la Ville, la province et l'étranger, les procès, les couvents, la magie noire; certains types sont évoqués avec humour. Elle possède aussi l'art de présenter ses observations dans des cadres narratifs variés, d'équilibrer récit et dialogue, de décrire par des croquis et des dessins animés.

On voit donc l'étendue et la profondeur de l'enquête, menée avec pénétration, sensibilité aux qualités propres de la romancière, esprit et humour qui rendent la lecture de l'ouvrage aussi agréable qu'instructive. Car des préjugés tenaces subsistent à propos de Mme de Villedieu : elle s'est montrée « femme avant d'être auteur... elle renonce en plein succès, à la célébrité. Son anticonformisme n'a servi qu'à défendre son amour ; celui-ci éteint, elle reprend la mentalité de ses contemporains...» (pp. 715-716). La femme, l'auteur, le genre, la société prennent place dans cette large fresque et s'y équilibrent harmonieusement. La présence des cadres esthétiques et sociaux fait souhaiter que l'auteur nous donne bientôt l'étude d'ensemble sur l'évolution du roman au XVIIe siècle qu'elle est éminemment qualifiée à écrire.