Annales galantes (1670) : À Monseigneur de Lionne, secrétaire et ministre d'État / Avant-propos / Privilège
Annales galantes (sans nom d'auteur), Paris, Claude Barbin, 1670, Tome I (BnF Y2-7502) :
À MONSEIGNEUR DE LIONNE, SECRETAIRE ET MINISTRE D'ESTAT, &c.
Monseigneur,
Ce n'est point un Auteur fameux, qui prend la liberté de vous presenter cét Ouvrage. C'est un genie qui se picque d'un peu de bon sens, qui a crû ne pouvoir offrir l'Abregé de toutes les Galanteries Estrangeres, qu'à l'homme de nostre siecle, qui sçait le mieux les maximes & les mœurs des Estrangers. Cette science du monde qu'on voit briller dans vostre Ministere m'a fait comprendre que c'estoit vous servir à vôtre mode, que de vous envoyer en raccourcy les Intrigues des Cours anciennes. Et d'ailleurs, MONSEIGNEUR, les Potentats Estrangers sçavent si bien le chemin de vôtre Cabinet, que quand j'aurois abandonné ceux-cy à leur propre conduite ; ils se seroient rendus naturellement où je les envoye. J'avouë qu'ils n'ont jamais paru à vos yeux sous la forme que je leur ay donnée. Les Negotiations importantes qui ont occupé vôtre jeunesse, & les grands intérests qui vous font agir presentement, ne vous permettent pas de regarder les Estats par l'endroit où je vous les montre. Mais, MONSEIGNEUR, un peu de délassement ne sçauroit vous faire de mal. Vous avez assez vu les Princes nos voisins revestus de la Pourpre Royale : il faut les introduire chez vous dans leur Des-habiller. Je ne vous diray point, MONSEIGNEUR, qui est l'Auteur de cette Mascarade : si elle est assez heureuse pour vous divertir, j'iray bientost m'appliquer une approbation si precieuse ; & si elle est assez infortunée pour vous déplaire, je ne sçaurois cacher mon Nom avec trop de soin. Ce que je publieray seulement toute ma vie, c'est que tout inconnu que vous est cet Auteur, il n'y a personne sur la terre, qui vous admire, vous respecte, & s'il l'ose dire, qui vous aime si parfaitement que luy.
AVANT-PROPOS.
Le siecle se vante de tant de subtilité, & la licence d'escrire les Intrigues vivantes, est devenuë si commune, que j'ay crû devoir prevenir les Erreurs du Public par cet Avertissement. Je luy declare donc, que les Annales Galantes sont des veritez historiques, dont je marque la source dans la Table que j'ay inserée exprés à la fin de ce premier Tome. Ce ne sont point des fables ingenieuses, revêtuës de noms veritables, comme on a veu un essay depuis quelques mois dans un des plus charmans Ouvrages de nos jours. Ce sont des traits fidelles de l'Histoire generale. Il y a eu autrefois une Comtesse de Castille, & elle suivit en France un Pelerin. Il y a eu des Fraticelles, & ils ont été condamnez par les Papes Boniface VIII. et Clement V. pour les crimes que je leur impute. Qu'on ne cherche point un Tableau de l'hypocrisie du siecle dans cette Aventure, elle est une relation fidelle d'une hypocrisie ancienne. J'avouë que j'ay adjousté quelques ornemens à la simplicité de l'Histoire. La majesté des matieres historiques ne permet pas à l'Historien judicieux de s'estendre sur les Incidens purement Galants, il ne les rapporte qu'en passant ; et il faut une Bataille fameuse, ou le renversement d'une Monarchie pour luy arracher une digression. J'ay dispensé mes Annales de cette austérité. Quand l'Histoire d'Espagne m'apprend qu'une Comtesse souveraine de Castille, suivit en France un Pelerin de saint Jacques, je présuppose que cette grande resolution ne se prend pas dans un moment, il faut se parler, il faut se voir, pour s'aymer jusques à cét excez. J'augmente donc à l'Histoire quelques entre-vuës secretes, & quelques discours amoureux. Si ce ne sont ceux qu'ils ont prononcez, ce sont ceux qu'ils auroient dû prononcer. Je n'ay point de memoires plus fidelles que mon jugement : quand on m'en fournira quelques uns, où mes Heros parleront mieux que dans mes Annales, je consens à rapporter leurs paroles propres. Mais tant que les Historiens les rendront muëts, je croiray pouvoir les faire parler à ma mode. Si dans les incidens que j'invente, & dans les conversations que je fais faire, il se trouve quelque ressemblance avec les Intrigues de nostre temps ; ce n'est ny la faute de l'Histoire, ny la mienne : l'une estoit faite avant nous, & je jure de n'avoir pas songé que nous fussions, quand j'ay parlé de ceux qui ont esté. Mais comme il y eut de tous temps, un amour, & des amoureux, il est difficile que ceux qui ont esté susceptibles des mesmes sentimens, n'ayent pas esté capables des mesmes actions. On est homme aujourd'huy, comme on l'estoit il y a six cent ans : les loix des Anciens sont les nostres, & on s'aime comme on s'est aimé. Faut-il donc s'estonner si ce qui est arrivé dans les premiers siecles a quelque rapport avec ce qui arrive dans celuy-cy ? Il n'est pas plus extraordinaire de voir un Amant de 1669. faire l'amour comme on le faisoit en 950. que de voir un enfant qui naist cette année, estre composé des mesmes parties, qui composoient les enfans d'Adam, & des Patriarches. Ce sont des effets communs de la nature, qui ne sont point sujets à la revolution des temps, & je ne sçay comme il y peut avoir des speculateurs assez oisifs pour philosopher sur une conformité si naturelle. Du reste, j'ay tâché de renfermer un sens moral dans les choses qui paroissent les plus déréglées. Si je fais tenir des discours criminels à un Religieux, qui abuse de la sainteté de son nom, & de son habit, c'est pour inspirer une horreur plus forte de son impieté, & pour faire mieux éclater les veritez qui en triomphent. Si je pousse la débauche de quelques femmes jusques à l'effronterie ; c'est pour donner des couleurs plus fortes à l'impudicité. Il est quelquesfois dangereux de ne faire qu'une foible ébauche du vice : telle personne se laisse emporter à la tentation qui l'auroit, peut-estre, surmontée, si elle en avoit connu toutes les suites: et pour enchasser des preceptes utiles dans les exemples que je propose, j'observe exactement la maxime de punir le vice, & de recompenser la vertu. Avec cette précaution, il est permis de mettre les actions les plus detestables, sur les Theatres les plus sacrez : les Scenes des Congregations et des Colleges, ne sont remplies que d'Attentats & de Parricides : on y voit le sacrilege confondu avec le martyre. Cependant on ne s'est point encore avisé de censurer ces representations. Comme on n'expose le crime que pour le sacrifier à l'innocence, on n'a pas assez meschante opinion de son prochain, pour s'imaginer qu'il prenne pour une exhortation au vice, ce qui n'est qu'un avis ingenieux de l'éviter. Je conjure les Lecteurs des Annales Galantes, de ne pas tomber dans ce defaut : ils trouveront dans cét Ouvrage des Portraits du vice assez naïvement representez ; mais ils observeront, s'il leur plaist, qu'on ne l'éleve que pour le détruire. Le sens Allegorique justifie presque partout le sens literal ; & l'air enjoüé qui est répandu sur les matieres les plus serieuses, doit paroistre assez divertissant aux gens qui le remarqueront, pour les obliger à ne pas trahir l'intention d'un Auteur qui leur aura si bien divertis.
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Extrait du Privilege du Roy.
Par grace & Privilege du Roy, en datte du vingt-quatriéme jour d’Octobre mil six cent soixante-neuf, donné à saint Germain en Laye, signé DALENCE : Il est permis à CLAUDE BARBIN, d’imprimer, vendre & debiter le Livre intitulé les Annales Galantes, & ce pendant le temps & espace de sept années ; & deffenses sont faites à toutes personnes de quelque qualité & condition qu’elles soient, d’en vendre ny debiter d’autres que de ceux Imprimez par ledit BARBIN ou ceux qui auront droit de luy, à peine de trois mille livres d’amende & autres peines contenuës plus au long dans les Lettres dudit Privilege.
Ledit BARBIN a associé audit Privilege DENYS THIERRY, suivant leur accord.
Registré sur le Livre de la Communauté des Libraires & Imprimeurs de Paris, le 5. Decembre 1669. Signé, A. SOUBRON.
Syndic.
Voir aussi l'œuvre en ligne et le résumé.