Cléonice, ou le Roman galant. Nouvelle (1669) : À son Altesse sérénissime Madame La Duchesse de Nemours / Privilège

Marie-Catherine de Villedieu, gravure de Charles Devrits (1845)

Cléonice, ou Le Roman galant. Nouvelle. Par Madame de Ville-Dieu
avec préf. de René Godenne, Genève, Slatkine ; Paris, Champion, 1979 
(reprod. en fac. sim. de l'éd. de Paris, C. Barbin, 1669 ; BnF Y2 73359 pour le Privilège) :

 

À SON ALTESSE SÉRÉNISSIME MADAME LA DUCHESSE DE NEMOURS.


Deja le Soleil commençait à dorer de ses rayons, les coteaux délicieux de la fameuse, etc. 
Mais pardon, ma grande Princesse, je le prends sur le ton d'un Roman dans les formes, et c'est une nouvelle galante que j'ay resolu d'écrire. Ce n'est ni d'Achille, ni d'Enée, que j'ay à vous entretenir, c'est de... et de... Vous ne verrez point de trônes renversés, ni de Nations détruites ; vous verrez seulement des résolutions surmontées, et des mérites triomphants : et bien que je considère la bravoure, comme une qualité essentiellement nécessaire à un honnête homme ; je vous déclare par avance, que si mon héros est attaqué par vingt cavaliers, et qu'il ne soit défendu que par trois ou quatre, il sera contraint de leur céder, comme s'il n'était point le héros de ma nouvelle. Accommodez, s'il vous plaît, vos idées au vraisemblable, puisque c'est un ouvrage de ma main qui doit les remplir, et souffrez que je m'éloigne de la fable et du prodige, puisque c'est d'une aventure de nos derniers siècles dont j'ai à vous faire le récit. Je nommerai mon héroïne Cléonice, de quel autre nom de Roman il vous plaira. Ce n'est pas que celui qu'elle portait autrefois, ne soit assez illustre, pour n'avoir pas besoin d'être déguisé, mais vous savez que les noms allégoriques, ont un son plus agréable pour l'oreille que les noms connus ; il faut exciter la curiosité du lecteur pour divertir son imagination. Et le mystère est si fort de l'essence d'une aventure amoureuse, qu'on ne dirait pas je vous aime, sur le bon ton, si le Tircis, ou la Climène, n'assaisonnaient une conversation d'amour. C'est donc sous le nom de Cléonice que... va se présenter à votre altesse. Je me passerois bien de faire son portrait, si cette nouvelle n'était vue que de vous ; mais comme l'impression est un destin inévitable pour tout ce qui part de ma plume, je crois qu'il est bon d'apprendre à tout lecteur mal informé, que Cléonice était d'une taille au-dessus de son sexe ; elle avait les cheveux d'un blond cendré, qui jetait un éclat argenté aux rayons du soleil. Sa bouche était vermeille, et d'une forme agréable, ses yeux bleus et bien fendus. On ne sauroit dire s'ils étaient doux, ou s'il étaient fiers, car ils prenoient si fort. Les divers mouvements de son âme, que souvent ils auraient pu être pris pour ceux de Minerve, et d'autrefois pour ceux de Vénus. Comme cette sincérité des yeux est une marque de celle de l'âme, jamais il n'y en eut une plus sincère que celle de Cléonice. 
[...] 
Pour Cléonice, elle ne se crut pas obligée à cette précaution, car sa personne, et son bien, était alors sous la puissance de Sicamber, elle ne devait plus reconnaître d'autres ordres que les siens. Il n'est pas nécessaire que je dise à votre altesse sérénissime, que les deux étrangers, et les officiers gagnés, eurent une grande part à cette fête. Je crois vous avoir donné assez bonne opinion de la courtoisie de Sicamber, et de nos deux amants, pour ne vous laisser aucun lieu de douter de leur reconnaissance ; et si jamais la vérité de cette nouvelle est développée, et quelque savant dans l'histoire de nos derniers siècles, s'avise de reconnaître un général fameux, sous le nom de Célidor : il trouvera que cette aventure a été le n?ud d'une alliance éternelle, entre les deux couronnes qui étaient en guerre, et que du commun consentement des deux rois, le pays de Cléonice a été érigé en Souveraineté neutre, qui sert encore de monument à l'hospitalité de cette belle fille, et à la gloire des deux étrangers. Pour eux, comme la paix rendit les passages aussi libres, qu'ils pouvoient le souhaiter, ils continuèrent leurs voyages, et ils vinrent en France, où ils racontèrent cette histoire aux gens qui en ont laissé les Mémoires. Si j'avais été dans la place des auditeurs, j'aurais volontiers demandé à ces messieurs les historiens, de quoi sont devenues Arianire, et Florise. Il me semble qu'elles avaient fait une figure assez agréable dans le commencement de cette nouvelle, pour avoir quelque part à la fin. Mais il falait que ces cavaliers fussent de l'humeur de beaucoup d'autres de ma connaissance, qui ne songent aux Belles qu'ils trouvent sur leur passage, que quand ils les voient, et qui n'en font aucune mention, lorsqu'ils ne les voient plus. Quant à moi, Madame, qui ne fais ici que le personnage d'une Historienne fidèle, et qui crains même d'avoir déjà ennuyé votre altesse, par la longueur de cette aventure, je ne rapporterai point ce qu'on ne m'a pas appris, et je me réserve, à m'informer de ce que sont devenues ces belles parentes de Cléonice, pour la première nouvelle que je prendrai la liberté de vous présenter. 
Fin du tome premier

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Extrait du Privilege du Roy.

 Par Grace et Privilege du Roy, donné à saint Germain en Laye le 20. Jour de Juillet 1668. Signé par le Roy en son Conseil, Loüis : Il est permis à CLAUDE BARBIN, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer un Livre intitulé Cleonice I. Nouvelle, de Madame de VILLEDIEU ; & deffenses sont faites à toutes personnes de quelque qualité & condition qu’elles soient, d’imprimer, ou faire imprimer ledit Livre, pendant le temps & espace de sept années, à peine de trois mille livres d’amande, confiscation des Exemplaires, & de tous deépens, dommages et interests, comme plus au long il est porté dans lesdites Lettres de Privilege.

 Achevé d’imprimer pour la première fois, le premier Avril 1669.

 Les Exemplaires ont été fournis.

 Registré sur le Livre de la Communauté, le 15. Iuillet 1668. Suivant l’Arrest de la Cour de Parlement du huitieme Avril 1653. 

Signé, SOUBRON, Syndic.

 

Voir aussi l'œuvre en ligne et le résumé.