Nitétis. Tragédie (1664) : À Monseigneur le Duc de Saint-Aignan
Nitétis. Tragédie. Par Mademoiselle Des Jardins
(Paris, G. Quinet ou Cl. Barbin, 1664),
dans Femmes dramaturges en France, 1650-1750 : pièces choisies,
tome II, textes établis, présentés et annotés par Perry Gethner,
Tübingen, PFSCL ; [puis] G. Narr, 1993-2002 :
À MONSEIGNEUR LE DUC D'AIGNAN
PAIR DE FRANCE, chevalier des ordres du roi, premier gentilhomme de la chambre, gouverneur et lieutenant général pour sa majesté en lsa province de Touraine
MONSEIGNEUR,
La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire m'a paru si obligeante, que j'ai cru ne pouvoir y répondre que par un poème tout entier, et bien que la maladie de la reine mère ait rendu celui-ci assez infortuné, pour faire croire qu'il va demander votre protection, il est pourtant très vrai que ce n'est que pour m'acquitter envers vous que Nitetis prend la liberté de vous rendre une visite. N'attendez d'elle ni grande harangue, ni panégyrique ; je ne l'ai pas instruite à vous tenir le langage de la meilleure partie de nos poètes, et comme je sais que quelques illustres que soient vos ancêtres, vous les surpassez infiniment, elle ne vous parlera ni de la noblesse de votre race, ni de la dignité de vos emplois, vous êtes bien mieux connu par vos actions que vous ne pourriez l'être par les louanges d'une épître dédicatoire, et je trouverais Nitetis trop audacieuse, si elle entreprenait d'ajouter quelque chose à la gloire que vous possédez. Elle se contentera donc de vous dire qu'elle se donne à vous de tout son cœur, et que si elle n'a pas assez de mérite pour faire accepter ce don avec joie, elle sera toujours trop glorieuse si elle peut vous témoigner à quel point je suis,
MONSEIGNEUR,
Votre très-humble & très-obéissante servante
DESJARDINS.
À MONSEIGNEUR LE DUC DE SAINT-AIGNAN. BILLET.
MONSEIGNEUR,
Je suis;
Vostre très humble et très obéissante servante, DESJARDINS.
À ce nom, poursuivez, de grâce,
Ce n'est ni placet pour le Roy,
Ni vers nouveaux, ni dédicace,
Ni rien de ce qui peut regarder votre emploi
Il me semble déjà voir quelqu'un de messieurs les sçavants,
(Car on sait que chez vous on voit incessamment
Tous les illustres de nostre âge,)
Se révolter à ce commencement
Et dire avec emportement :
Quelle faute contre l'usage !
Juste ciel ! quel dérèglement !
Quoy ! renverser ainsi la belle économie,
Dont Voiture et Balzac ont tracé leurs écrits ?
Et que dira l'Académie ?
Que diront tous les beaux esprits ?
Pour moy, je ne m'en saurais taire
Et, pour en parler franc et net,
Dedans le genre épistolaire,
C'est un monstre qu'un tel billet.
J'en conviens avec messire le Docte. Il est vrai, brave et généreux duc ; en bonne police, la République des Lettres devrait me condamner à l'amende ; mais j'ai cru qu'il était moins périlleux pour moi d'en courir les risques que de vous laisser prendre ce poulet pour un oiseau de mauvais augure. Vous êtes exposé à tant de prières importunes,
Que pour mieux éviter cette punition [toute prévention],
J'ai d'abord mis mon nom en tête,
Car on sait que sur la requête
Desjardins n'est pas trop sujet à caution.
Bien que ma fortune soit basse,
Et qu'on croit rarement un poète sur sa foy,
Sitôt qu'en quelque lieu vous lirez que c'est moy,
À ce nom, poursuivez, de grâce,
En effet, Monseigneur, ceci n'est qu'un très humble remerciement des bontés que vous me témoignâtes à Versailles et une protestation sincère que j'en ai une reconnaissance infinie et que je feray tous mes efforts pour m'en rendre digne ; je sais que l'entreprise n'est pas petite et vostre estime étant très glorieuse pour ceux qui la possèdent, elle est difficile à obtenir. Mais, Monseigneur, je crois pouvoir tout oser, quand je songe à quel point je suis
Ce que j'ai pris la liberté de vous protester au commencement de cette lettre.
Voir aussi l'œuvre en ligne.