Les Désordres de l'amour (1675) : Au Lecteur / Privilège

Marie-Catherine de Villedieu, gravure de Charles Devrits (1845)

Les Désordres de l'amour,
Paris, Claude Barbin, 1675
(« Au Lecteur » reproduit par Rudolf Harneit dans
 « Les Désordres de l'amour de Madame de Villedieu :
éditions, localisations, diffusion européenne.
Avec la préface de l'édition originale (1675) »,
Bulletin du bibliophile, 1, 2000, p. 136) :
 

AU LECTEUR.

Ne croyez pas, que par le Titre de ce Livre je prétende disposer les esprits à voir quelque nouveau triomphe de l'amour ; Je n'écris plus que pour inspirer l'horreur de sa malignité ; c'est un poison qui s'attache aux plus nobles parties de l'âme, qui désordonne la volonté, trouble le repos de l'esprit, et rend enfin un homme si différent de lui-même, qu'on peut dire que cette Circé de la Fable qui transforma les compagnons d'Ulysse en divers animaux, n'est autre chose que l'effet visible d'une violente passion.
Combien les Histoires anciennes et modernes fournissent-elles d'exemples de ce que j'avance ? On n'y voit de Monarchies et de Républiques florissantes que celles dont il a été banni, et on trouve qu'il a causé la ruine de toutes celles où il a été reçu. La faiblesse qu'il met dans les âmes qui s'y soumettent, a passé des Empereurs et des Magistrats jusques aux peuples, leur courage s'est amolli, la paresse et l'oisiveté ont laissé perdre ce que l'activité et l'humeur belliqueuse avaient acquis ; et s'il était permis de mêler l'Histoire Sainte à la Profane, combien y trouverions-nous d'incidents qui établiraient la tyrannie et la malignité de l'amour ?
Je ne veux rien puiser dans une source si sérieuse ; mais renfermons-nous dans quelque chose de plus familier et de plus nouveau. Examinons ce qui s'est passé en France de plus mémorable dans la fin du Siècle précédent, et dans les commencements de celui-ci. Pénétrons la cause de tant de Ligues, et de tant de Batailles. Retraçons dans notre mémoire tant de trépas illustres dont l'Histoire de ces derniers temps est toute remplie, nous trouverons toujours l'amour coupable ou complice de tout. Il fait jouer les ressorts de toutes les autres passions, il mérite seul le blâme qu'on donne aux autres faiblesses de l'âme ; et comme s'il avait usurpé un empire absolu sur le destin qui préside au gouvernement des États, à peine souffrent-ils quelque révolution considérable, qui n'ait sa cause dans l'amour.
J'en rapporte quatre preuves historiques, qui comme autant de sources fécondes, ont inondé ce Royaume de misères et de divisions. Si elles ne suffisent pour établir ma proposition, il n'est pour notre malheur, que trop aisé d'y en joindre d'autres. On ne peut ouvrir un Livre d'Histoire, sans y trouver quelques-unes, et ce qui doit être plus convaincant, à peine aurai-je quelque Lecteur, qui n'ait fait une expérience particulière de ce que je tâche à lui prouver.
 

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Extraict du Privilege du Roy.

 Par grace & Privilege du Roy, donné à Versailles le 5 Septembre 1675. Signé GAMART ; Il est permis à CLAUDE BARBIN, Marchand Libraire à Paris, de faire imprimer un Livre intitulé, Les Desordres de l’Amour, composé par M. de DE VILLEDIEU, pendant le temps de dix années ; Et deffences sont faites à toutes personnes, de quelque qualité & condition qu’elles soient, d’imprimer, vendre ny debiter ledit Livre, à peine de trois mil livres d’amende, confiscation des Exemplaires contrefaits, & de tous dépens, dommages & interests, comme il est plus amplement porté par lesdites Lettres.

Registré sur le Livre de la Communauté des Marchands Libraires & imprimeurs de cette Ville de Paris, suivant l’Arrest de Parlement du 8. Avril 1653.

Signé D. THIERRY Syndic.

Achevé d'imprimer pour la premiere fois le 23. Novembre 1675.

 

 

Voir aussi l'œuvre en ligne, le résumé et les pages de titre.