Les Galanteries grenadines (1672-1673) : Aux Lecteurs / Privilège

Marie-Catherine de Villedieu, gravure de Charles Devrits (1845)

Les Galanteries grenadines, Paris, Claude Barbin, 1672-1673,
éd. Edwige Keller-Rahbé, Publications de l'Université de Saint-Étienne,
collection « Textes et Contre-Textes », n° 6, 2006, p. 55-57 :

 

AUX LECTEURS.


C'est à tous les jeunes gens de notre siècle, que j'adresse cet ouvrage. Ils y verront des leçons de galanterie, qu'ils ne trouveront peut-être pas indignes de la source où je les ai puisées. Et s'ils pénètrent délicatement mon dessein ; ils connaîtront, que sous les divers caractères de mes héros maures, et de mes Dames grenadines, je donne quelquefois des louanges tacites, et fais des satires ingénieuses. Je laisse à la bonne foi de mes lecteurs, le soin d'en faire l'application ; et comme je ne veux point les séduire par une flatterie affectée ; je ne veux point les irriter, par une remontrance inutile. Qu'il leur suffise, s'il leur plaît, qu'en leur peignant un inconstant, je lui donne des raisons d'inconstance, dont il serait à souhaiter que toutes les inconstances fussent autorisées. Que ce n'est pas pour écrire seulement, que je punis dans mes histoires, les amants tièdes, ou tyranniques ; Et que si je semble oublier le caractère des amants indiscrets, c'est que je voudrais pouvoir les anéantir dans la société, comme je les anéantis dans mes ouvrages.
Ces desseins secrets ne devraient pas m'attirer la haine des Dames, comme on dit que je me la suis attirée. J'avoue que dans les endroits où cela m'a semblé à propos ; j'ai peint le vice avec des couleurs assez vives : Mais c'est plutôt un éloge pour qui ne le pratique pas, qu'une supposition qu'on puisse le pratiquer. Il ne peut m'entrer dans l'esprit, qu'aucune femme m'accuse de l'avoir eue dans l'idée, quand j'ai fait de si vilaines peintures ; et comme je ne les ai tracées que pour entretenir l'horreur de l'impudicité, les Dames me permettront de croire que ce sont leurs ennemis, qui ont voulu me persuader qu'elles me voulaient du mal. Je leur aiderai volontiers à se venger ; et pourvu qu'elles demeurent dans les bornes de tendresse, où je renferme mes véritables héroïnes, et qu'elles ne donnent leur cœur, qu'aux mêmes conditions que j'impose à mes héros. Je suis assurée, que les galants du siècle seront les seuls qui se plaindront de mes maximes. Quoi qu'il en soit, je ne les propose point comme une loi. On les suivra, ou on les interdira, si on le veut. Je me cherche la première dans tout ce que j'écris, et je conjure mes lecteurs de ne lire que par divertissement, ce que je ne compose que pour me divertir.

Les fautes d'impression sont rarement excusées, par les déclarations qu'on en fait ; on les remarque d'ordinaire plutôt qu'on ne lit leur justification : Mais je ne puis m'empêcher de dire, que dans la page 84 du premier tome, on a mis le nom d'Abendaraez, pour celui d'Abençarax ; les lecteurs intelligents verront bien pourquoi je fais cette remarque.

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Extrait du Privilege du Roy.

Par Grace et Privilege du Roy, donné à Saint Germain en Laye le 6 février 1672. Il est permis à la Dame de Villedieu, de faire imprimer par tel Imprimeur qu’il lui plaira choisir, Les Galanteries grenadines, pendant le temps & espace de dix années ; Et défenses sont faites à tous autres, de le faire imprimer sans l’exprès consentement de ladite Dame, ou de ceux qui auront son droit, sur les peines portées par lesdites lettres.

Et ladite Dame de Villedieu a cédé son droit de privilège à Claude Barbin, marchand libraire, pour en jouir par lui pendant ledit temps, suivant l’accord fait entre eux.

 Registré sur le livre de la communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris, suivant & conformément à l’Arrêt de la Cour du 8. avril 1653. Et celui du Conseil privé du Roi du 27 février 1667. Fait à Paris le 21 mars 1672.

Signé, D. THIERRY, Syndic.
 

Voir aussi l'œuvre en ligne, le résumé et les pages de titre.