Recueil de poésies (1662) : À Madame la Duchesse Mazarin

Marie-Catherine de Villedieu, gravure de Charles Devrits (1845)

Recueil de poésies de Mademoiselle Desjardins,
Paris, Barbin, 1662 :

À MADAME LA DUCHESSE MAZARIN.


MADAME,

Il y a longtemps que les éminentes qualités de feu Monseigneur le Cardinal m'avaient inspiré le désir d'offrir quelques fleurs du Parnasse à celui qui en méritait toutes les couronnes. Mais, MADAME, la jeunesse de ma Muse la rendait timide : elle n'osait entreprendre de voler avec des ailes naissantes, jusques au degré de gloire où la vertu de ce grand homme l'avait élevé. Je crois même que cette timidité m'aurait obligée à garder éternellement le silence, si le ciel, pour favoriser mon zèle, n'avait fait changer de sexe aux vertus de ce ministre incomparable. Cette douceur qui vous est si naturelle, m'a fait espérer de rencontrer en vous un peu d'indulgence pour ces premiers essais de ma plume : et c'est sur la confiance que j'ai en votre bonté, que je prends la liberté de vous le présenter. Une forte inclination à la poésie, m'a fait produire ces vers, plutôt que l'art et l'expérience. Je sais bien qu'ils ne sont pas assez polis pour être exposés à la vue de la digne héritière du nom et des vertus du Grand Cardinal Mazarin : Mais, MADAME,
 

Quand ce hardi dessein paraîtrait téméraire,
Ma Muse aura toujours un Destin glorieux :
Car lorsqu'on a conçu le désir de vous plaire,
On ne peut tomber que des cieux.


Cette pensée m'a rendu si ambitieuse, que malgré la crainte et le respect, que vos incomparables perfections me devaient donner, j'ai bien osé prendre la liberté de vous faire entendre quelques une de mes chansons.
 

Leurs airs n'égalent pas ces merveilleux accents,
Qui font aux grands auteurs mériter de l'encens :
Ce n'est pas aux simples musettes,
A célébrer la guerre, et la cour :
Et mes champêtres chansonnettes,
N'oseraient parler que d'amour.


Souffrez donc, s'il vous plaît, MADAME, que mes bergers ne vous entretiennent que de cette passion, et qu'ils tâchent à vous faire voir que la divinité des amants est quelquefois aussi parée avec une houlette qu'avec un sceptre :
 

Que vêtu de cette manière,
L'amour n'en fait pas moins reconnaître ses lois :
Qu'il cache dans sa panetière,
Les plus dangereux traits qui soient dans son carquois :
Que souvent sous l'habit champêtre,
Il s'est assujetti des princes et des rois :
Et que jamais ce Dieu ne se fait mieux connaître
Que parmi les rochers, les antres et les bois.


On aura certainement de la peine à vous persuader cette vérité, et après avoir trouvé l'amour si charmant sous la figure de l'illustre époux que le ciel vous a donné, il sera difficile de vous faire croire qu'il puisse être agréable sous une autre forme : mais le myrthe est quelquefois aussi propre à faire des couronnes que le laurier ; et ce merveilleux époux que les vertus des conquérants rendraient si brillant si nous avions la guerre, ne perdra point ses appas, s'il prend la houlette pendant la paix. Pour vous, MADAME, vous êtes obligée à aimer les divertissements pacifiques, puisque la paix, dont nous jouissons, est le fruit des travaux de cet oncle admirable, que la France regrettera à jamais, et que c'est par cette action si héroïque qu'il a mérité principalement l'amour et la vénération de toute l'Europe. Ainsi, MADAME, j'ose espérer que tous tranquilles que sont mes innocents bergers, ils ne laisseront pas de vous être agréables ; et qu'ils auront assez de bonheur pour m'obtenir la permission de vous consacrer quelques jours des ouvrages plus achevés, ou pour mieux dire, moins indignes d'accompagner le sincère aveu que je fais de la forte passion avec laquelle je suis,

MADAME,

Votre très humble et très obéissante servante,
DESJARDINS

 

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