Les Nouvelles affriquaines (1673)

portrait de Madame de Villedieu

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LES NOUVELLES AFFRIQUAINES[1]

 

Un duel oblige le noble Albirond à se transformer en Chevalier errant. Après avoir épuisé les ressources de l’Europe où la paix lui refuse le secours des armes, il fait voile vers Tunis où il entend parler de guerre, afin de prêter main forte à son ami Mehemet Lapsi, en conflit avec le Roi du Tassilet. Reçu avec joie, il se laisse aller à des confidences et avoue que son cœur est toujours occupé par la belle Uranie. De son côté, le Turc, devenu Bey de Tunis, lui raconte qu’il est tombé éperdument amoureux d’une captive chrétienne, Rehecma, qui se refuse à lui lors même qu’il lui promet conversion à sa foi et mariage ; mais trop galant homme pour user de ses droits, il se désespère. Albirond accepterait‑il de se faire son ambassadeur ?

Les deux hommes se rendent donc au Palais du Bardou, et le Français reconnaît Uranie ! Sa réponse est ferme : elle restera fidèle à ses engagements passés. Mehemet s’étonne : il a fait surveiller la jeune fille, et il sait que l’homme à qui elle veut garder sa foi ne l’aime pas, car elle ne cesse de se plaindre de son ingratitude. Le doute succède à l’émotion dans le cœur d’Albirond. Son trouble est encore augmenté par les évocations discrètes mais voluptueuses auxquelles le bey se laisse aller dans son impatience. Le lendemain, Albirond retourne seul au Bardou, car il a tous les droits ; une jeune esclave s’avance et l’invite à converser, derrière une jalousie, avec l’élue de son cœur ; ils n’ont que le temps d’un échange muet de regards et de larmes, car on annonce Mehemet. Tout joyeux, il brandit un billet de Rehecma qui semble lui donner de l’espoir, et invite son ami, avec transport, à venir achever ce qu’il a si bien commencé.

Lors de cette nouvelle entrevue, Uranie‑Rehecma raconte comment, alors qu’elle a juré fidélité à un amant, celui‑ci, parti au loin, l’a laissée sans nouvelles ; se croyant abandonnée, elle a failli s’unir à un autre, mais y a renoncé au dernier moment, s’estimant parjure. Ne risque‑t‑elle pas de l’être en épousant Mehemet ? Ce récit habile permet à Albirond de dissiper le malentendu ; une réponse qui ne l’est pas moins éclaire définitivement Uranie, sans que le bey se doute un instant de la portée du dialogue auquel il assiste. Il est même ravi, car il n’a jamais vu ses espérances en si beau chemin. Albirond de son côté est dévoré de scrupules, mais ne peut déclarer la vérité sans risquer la vie de sa bien‑aimée.

Survient alors un esclave, de son vrai nom Don Pèdre de la Mera, neveu d’un gentilhomme espagnol qui avait logé Albirond à Sagonte. Est‑ce Uranie qui l’envoie ? Il commence par raconter son histoire. (pp. 473‑505)

Histoire de Don Pèdre de la Mera et de la Dona Isabelle de Penaroche.

Don Pèdre, issu de la meilleure noblesse de Valence, aime la jeune Isabelle de Penaroche, son amie d’enfance. Appuyé par le frère de la jeune fille, il espère l’épouser, mais un prétendant, le marquis de Pignastel, vint traverser ses projets. Don Pèdre a bien sauvé Isabelle de la fureur d’un sanglier, mais le marquis, peu après, lui a permis d’échapper à celle des flots ! La jeune fille, très surveillée, ne peut rien témoigner de ses préférences. Un jour cependant, alors que le marquis et Alphonse, frère d’Isabelle, jouent aux cartes, les deux jeunes gens, qui parient sur eux, arrivent à communiquer par ruse. Le marquis s’en aperçoit, et le lendemain, tandis que Don Pèdre croyait pouvoir déposer un message dans des gants parfumés, son rival essaie à nouveau de l’intercepter. Isabelle lui reproche « impérieusement » son mauvais procédé. Désespéré, le marquis revient et somme la jeune fille de choisir. Elle n’hésite pas et se déclare pour Don Pedre :

Le moindre des regards de Don Pedre fait sur mon cœur ce que tous vos discours n’ont pu faire : j’en perdais la mémoire sitôt qu’ils étaient finis, et Don Pedre ne fait aucune action qui ne demeure dans mon idée longtemps après que je ne le vois plus ”. (p. 522)

Le marquis, « je ne sais quoi de funeste dans les yeux », pique son cheval et part dans la campagne à bride abattue. Don Pedre, qui a deviné ses intentions, le suit de près, et tous deux commencent bientôt un dangereux combat. Don Alphonse les découvre, apprend les raisons de l’affrontement et s’emporte violemment contre sa sœur. La jeune fille est séquestrée chez une vieille tante et menacée du couvent à vie. Le marquis profite de ces circonstances favorables pour demander sa main et l’obtient sans peine. Don Pedre réussit à faire parvenir à la malheureuse une lettre touchante, à laquelle elle fait réponse en proclamant « sa répugnance invincible » pour l’union qui lui est imposée. Partagé entre la jalousie et l’abnégation, l’amant accablé s’apprête à quitter Valence quand il rencontre à la porte de Castille une voiture où ont pris place Isabelle et sa tante, chassées de leur résidence par la peste. Les deux jeunes gens se revoient avec émotion, mais à peine ont‑ils eu le temps de parler que survient Alphonse, qui écarte violemment son ancien ami et s’adresse sévèrement à sa sœur. Don Pedre s’enfonce alors dans les bois, et entend les échos d’un combat. S’étant approché, il voit Alphonse qui, déjà blessé, se défend mal contre cinq ou six hommes armés ; il est assez heureux pour leur faire lâcher prise. Alphonse, plein de reconnaissance, promet à son sauveur de plaider sa cause auprès de son père.

Mais celui‑ci ne veut rien entendre. Le frère d’Isabelle alors, fidèle à sa parole, convoque en secret un prêtre et un notaire, et, après s’être assuré d’un asile auprès du Vice‑Roi de Sardaigne, donne un bateau au jeune couple. La navigation est d’abord heureuse, mais au large des Iles Baléares, l’embarcation est abordée par des pirates tunisiens. Les amants se battent, décidés à mourir ensemble. Don Pedre est grièvement blessé.

Le narrateur, arrivé à cet endroit de son récit, affirme à Albirond qu’il peut présentement lui rendre un grand service. Peut‑être Isabelle est‑elle l’esclave espagnole qui l’avait mené à Uranie ? Dans cet espoir, Albirond est disposé à se laisser conduire.

Survient Mehemet qui, ne sachant quoi trouver pour être agréable à son ami, lui propose d’échanger contre sa grâce deux Cavaliers français qu’il retient malgré l’insistance du Roi de France. Il désire même qu’Albirond leur confie une lettre pour Uranie, dont ils feraient tenir la réponse. Le Français a toutes les peines du monde à se dégager, et finit par inventer une affaire d’honneur qui l’empêche d’être l’obligé de ces Messieurs. (pp. 506‑536)


DEUXIÈME PARTIE

Albirond ne tarde pas à recevoir une lettre signée de Don Pedre qui le prie de se trouver dans une maison qu’on lui décrit « où l’Amour lui prépare une des meilleures fortunes qu’il puisse donner ». Le gentilhomme français hésite.

Il savait que dans les lieux où l’on renferme les femmes, elles prennent d’étranges licences et ne donnaient pas le nom de bonnes fortunes à tout ce qui semblait le mériter ”. (p. 540)

Mais il ne veut pas manquer une occasion possible d’approcher Uranie. Il se rend donc au lieu indiqué, y trouva « un fameux Renégat » qui l’attendait, le déguise en marchand de bijoux, et le conduit dans une galerie où il se sent étreint passionnément. Ce ne peut être Uranie ; c’est une Génoise, qu’Albirond avait rencontrée lors d’un voyage en Italie et qui s’était follement éprise de lui ; il l’avait « sacrifiée à son unique passion ». N’écoutant que son ardeur, elle avait voulu le rejoindre en Barbarie et avait été capturée par des corsaires. Lors de la récente visite d’Albirond au Bardou, elle avait été la première à le reconnaître, avait averti l’esclave espagnole – qui est bien Isabelle de Penaroche – et avait réussi à mettre Don Pedre dans ses intérêts. Il ne manquait plus que le consentement d’Albirond pour qu’on procédât à un double enlèvement. On devine les réticences de l’amant d’Uranie.

Il n’a pas le temps de les formuler, car le bey est annoncé, et les faux marchands se retirent en hâte. Albirond apprend que le Bassa[2] le fait mander : il le prie de bien vouloir recommander à des amis français son fils préféré qui part en France pour un voyage diplomatique. Au retour de cette audience, le Français trouve Mehemet épanoui : Rehecma vient de lui accorder sa main « selon sa loi » et le prie d’annoncer la bonne nouvelle à son ami. Pétrifié, Albirond ne sait que penser, mais pousse l’amour jusqu’à respecter en sa maîtresse jusqu’à cette injustice, décidé cependant à se donner la mort, après qu’elle se soit justifiée. Il reprend, grâce au Renégat, son déguisement de marchand de bijoux et fait proposer à Uranie une turquoise montée en bague où elle avait jadis fait sertir de ses cheveux. Il n’en fallait pas tant pour faire sortir une amante malheureuse, qui accable Albirond de reproches : son infidélité, dont elle a été témoin, ne lui laisse d’autre recours que de s’unir à Mehemet. Uranie avait en effet assisté de loin à l’entrevue de son amant et de la Génoise ! Un dialogue lyrique et émouvant met fin à ce tragique malentendu. A la Génoise, on substituera Uranie pour l’enlèvement qui se prépare.

Le renégat, sollicité pour ce projet, renouvelle ses offres de service. Mais Albirond est curieux de savoir pourquoi cet homme dispose de tant d’intelligences dans le Sérail. C’est simple, répond‑il, il suffit de jouer. La méthode lui a déjà réussi pour une affaire de galanterie, et elle s’avère là tout aussi efficace : il a parié avec les eunuques qu’il pénétrerait à leur insu dans le sérail ; s’il gagne, il n’y a aucune difficulté à faire admettre son succès, et s’il perd, la gageure lui sert de prétexte ! Don Pedre arrivant, Albirond le prie de bien vouloir faire « accompagner Isabelle par la dame qu’il aime » et lui recommande un secret total, même et surtout à l’égard de la Génoise. On met sur pied le plan d’évasion, favorisé par la présence de deux vaisseaux français dans la rade de Tunis.

Albirond va faire ses adieux à Mehemet et lui trouve une mine « funeste ». En effet, Rehecma vient de se raviser brutalement alors que le Prince turc a déjà pris de graves et irréversibles dispositions. Le Français essaie de défendre sa compatriote en invoquant les droits de l’amour passé, sa fatalité et les souffrances d’une épouse qui aime ailleurs. Il ne peut vaincre la colère du bey qui est résolu à user de la force, comme sa loi l’y invite.

Albirond se rend en hâte au Sérail ; c’est pour y apprendre que la Génoise a parlé, que les gardes du Palais ont été changés et doublés. Il rentre accablé à Tunis et y est assailli par les reproches tantôt tendres, tantôt véhéments de Mehemet qui sait tout. Longue discussion sur les droits respectifs de la passion, de la reconnaissance et de l’honneur. A la fin, l’amour l’emporte chez Albirond ;il entreprend une justification énergique qui pousse le Turc à bout. Il n’a cependant pas le temps de se saisir de son rival, plus prompt que lui. Il se rend donc chez le Bassa « pour lui demander des ordres pour arrêter Albirond ». Celui‑ci n’en veut rien faire : le Français s’est engagé à se faire à Paris le patron de son fils et l’on a besoin de lui ; aussi bien ne voit‑il aucun motif à ce geste imprudent.

Le bey revient alors à sa première idée : faire violence à Rehecma, mais elle se jette en larmes à ses pieds, et, sans essayer de jouer outre mesure de son pouvoir sur le prince, elle se livre à une analyse désenchantée de la passion et de ses exigences, faisant aussi appel à la noblesse de son vainqueur : veut‑il « tyranniser un cœur » ? Mehemet suspend son courroux contre « une personne qui lui est sacrée » et le dirige à nouveau sur Albirond. Mais en allant exécuter un funeste dessein, il est assailli et blessé par une « troupe de gens armés », au bord même du canal où une poignée de Français se préparaient à l’enlèvement projeté. Mehemet, « tout sanglant et prêt à périr », est sauvé par la vaillance de son rival. Ne voulant pas être en reste de « gloire », il se sent contraint de faire céder sa passion à sa générosité. Encore exige‑t‑il que les amants partent sans délai, afin « d’accorder à sa vertu le secours d’une impossibilité ».

Uranie est reconnue avec surprise par l’un des gentilshommes français. Elle avoue s’être fait passer pour morte, n’ayant eu d’autre moyen pour « se dérober à la tyrannie de ses parents ». Reste à savoir comment la Génoise avait pu être informée : elle avait surpris le dialogue dramatique d’Albirond et d’Uranie et s’était empressée d’en rendre un compte exact au bey. Chacun flétrit cette conduite « insensée ».

L’ouvrage s’achève sur l’assurance de l’auteur que cette histoire est véritable.

 

[1] Éd. Barbin, t. VI, pp. 473‑590. L’ouvrage comporte 3 Billets, 5 Poésies et 2 Devises en vers.

[2] qui, souverainement, auprès du Bey représente la personne du Grand Seigneur.