Boyer d'Argens (Jean-Baptiste)

portrait de Madame de Villedieu

 

Marquis d'Argens, Mémoires, Paris, Buisson, 1807, p. 233-234 :

 


Madame de Villedieu naquit à Alençon vers 1640. Elle est connue par divers ouvrages de théâtre et des romans historiques, qui eurent de la vogue pendant quelque temps, et qui ne sont pas sans quelque mérite. Une aventure qu'elle eut, étant toute jeune avec un cousin, la détermina à venir à Paris, où elle se mit à cultiver les lettres. Elle se nommait Catherine Desjardins ; elle était jolie, coquette et instruite. Elle eut bientôt une cour de jeune gens qui cherchèrent à lui plaire. Celui qui réussit le mieux fut un capitaine d'infanterie, d'un caractère et d'une figure aimable. Mademoiselle Desjardins en devint amoureuse ; il était marié depuis un an : elle le persuada de faire casser son mariage : la chose fut impossible et le jeune homme partit pour Cambray rejoindre son corps. Sa maîtresse l'y suivit, et lorsqu'ils revinrent à Paris, mademoiselle Desjardins y parut sous le nom de madame de Villedieu. Cette nouvelle union ne fut point heureuse ; il y avait beaucoup de divisions entr'eux, lorsque Villedieu partit pour l'armée où il fut tué. Sa prétendue veuve ne fut point une Artémise ; partagée entre l'amour, les romans et le théâtre, elle vécut comme on peut vivre dans de pareils amusements. La mort subite d'une de ses amies lui causa une crainte de la mort et de ses suites, si grande, qu'elle voulut entrer dans un couvent : elle y entra ; mais ses aventures y ayant été connues et la ferveur ayant perdu de sa force, elle retourna chez Madame de Saint-Romain sa sœur, où elle fit connaissance du marquis de la Chasse, qu'elle épousa ensuite. Ce marquis était cependant marié ; mais cela n'empêcha pas mademoiselle Desjardins de l'épouser secrètement. Ils eurent un fils qui ne vécut qu'un an ; le père le suivit bientôt. Sa veuve inconsolable se maria bientôt avec le cousin qui avait eu les prémices de son cœur ; il lui permit de prendre le nom de Villedieu sous lequel elle est connue. Elle mourut dans un village de la province du Maine, en 1683, âgée de quarante-trois ans. Sa vie prouve qu'à cette époque nos mœurs et celles des femmes en particulier, ne valaient guères mieux qu'aujourd'hui, si même avec un extérieur de dévotion, elles n'étaient pas pires et plus opposées aux lois de la conscience, de l'honneur et de la foi conjugale.