Parfaict (les Frères)

portrait de Madame de Villedieu

Les Frères Parfaict, Histoire du théâtre français, Paris, P. G. Lemercier et Saillant, 1746, t. IX (1re éd. 1735) :

 

Article « Manlius Torquatus » (p. 115-136)



Tragi-comédie de mademoiselle DES JARDINS, Représentée sur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, au commencement du mois de may.


Muse historique de Loret du 6 mai 1662

Manlius Torquatus poëme,
Que l’on tient d’un mérite extrême,
Sujet grave, sujet romain,
Qui vient d’une agréable main,
D’une fille étant la besogne,
Se joue à l’hôtel de Bourgogne.
Oui, s’y joue, & certainement,
Avec grand applaudissement.
DES JARDINS, jeune demoiselle,
A fait cette piéce nouvelle,
Où très-bien des gens font d’accord,
Qu’on y voit du tendre et du fort :
Une judicieuse fuite,
Du génie & de la conduite,
Et le tout, si beau, si touchant,
Qu’à moins d’avoir l’esprit méchant,
Envieux, jaloux & sauvage,
Il faut admirer cet ouvrage,
Que plusieurs nomment merveilleux,
D'autres disent miraculeux.
Or la troupe qui la récite,
Loin de rabaisser son mérite,
Y mêle certain agrément,
Qui l’embellit extrêmement.
Déjà plusieurs beaux écrits d’elle,
Courroient de ruelle en ruelle ;
On trouvait fort doux, & fort nets,
Ses Quatrains, Sixains et Sonnets :
Elle avoit fait mainte Elegie,
Pleine d’esprit & d’énergie :
Ses Impromptus et Madrigaux,
Aux plus rares étoient égaux :
On idolâtrait ses Eglogues,
Quoique pourtant sans dialogues :
Mais des gens d’assez bon gustus
Disent que dans son TORQUATUS,
Cette âme belle & bien sensée,
S’est infiniment surpassée ;
J’irai demain, s’il plaît à Dieu,
En ce délectable & beau lieu,
Où cette pièce si vantée,
Et dignement représentée :
Nullement pour l’examiner,
Mais pour le plaisir m’en donner :
Et selon les bons desseins nôtres,
Battre des mains comme les autres.

Il faut faire une grande diminution aux éloges que Loret donne à la tragi-comédie de Manlius, pour mettre cette pièce à sa juste valeur, surtout à l'égard de la versification, qui en général est non seulement très faible, mais très prosaïque, et mêlée d'expressions basses et quelquefois ridicules. En voici un exemple. Acte IV Scène IV Torquatus dit en parlant de Camille, qui vient de lui faire de vifs reproches, sur l’ordre qu’il a donné de faire mourir Manlius.

Dieux ! l’horrible tourment qu’un pareil entretien !
Sa raison est sujette à certaines allarmes,
Dont les noires vapeurs ternissent bien les charmes ;
Et je veux désormais éviter son courroux.

Si des vers on passe au plan, à la marche de la pièce, et aux caractères des personnages, on y trouvera pas moins de défauts. Dans le temps que cette tragédie fut représentée, elle essuya une assez vive critique de la part de M. de Visé. Cette critique se trouve dans La Défense de la tragédie de Sophonisbe adressée à M. l'abbé d'Aubignac. Nous rapportons les termes de M. de Visé.
«  Si le Manlius de Mademoiselle Des Jardins, dont (M. l’Abbé d’Aubignac) a fait le sujet, a eu plus de succès (que la tragédie d’Erixene) La gloire n’en est dûe qu’à la beauté des vers de cette incomparable fille, & aux Comédiens qui les ont si bien fait remarquer, qu’ils ont fait réussir la pièce, malgré tous les défauts de son sujet. Je ne perdrai pas de temps à les faire remarquer, puisqu’il faudroit que je fisse des remarques beaucoup plus amples que celles que ce Censeur vient de faire sur la Sophonisbe. Je dirai seulement que le rôle de Camille est plus inutile que celui d’Erixe qu’il reprend, & que si les Scènes de cette Pièce étoient déliées, aussi bien que celles du Cid, il paroîtroit moins nécessaire que l’Infante. Cette Camille, à la vérité, dit beaucoup de vers, & c’est en quoi elle est plus condamnable de tant parler, & d’être entièrement inutile à la Pièce. Elle ne dit pas un demi-vers dans tout son rôle, qui puisse faire voir qu’elle aime Torquatus, & le dépit qu’elle conçoit d’abord, en apprenant que Manlius aime Omphale, fait croire qu’elle aime ce Héros ; mais on perd cette pensée dans le troisième Acte, où elle conseille à Manlius d’enlever Omphale : tellement que le spectateur ne sçait plus qu’elle intérêt elle a dans la pièce, en voyant qu’elle ne témoigne d’amour ni pour le père, ni pour le fils. Dans le reste de la pièce, elle ne fait que persécuter Torquatus, pour l’empêcher de faire mourir son fils, & dans la fin, le Consul lui demande, par un discours composé de deux vers, si elle lui pardonne ; et elle lui répond ouï par deux autres vers. L’on peut juger par là, si Camille est fort nécessaire à cette Pièce, si l’on ne la pouvoit pas jouer, & finir sans elle, si c’étoit une nécessité indispensable de donner une belle-mère à Manlius. A quoi songiez-vous, Monsieur, lorsque vous fîtes ce sujet ? Où plutôt à quoi pensiez-vous lorsque vous dîtes devant tant de monde : Que jusqu’ici, nous n’avions vû que des quarts de Pièces, & que Manlius en étoit une entière. Si le peuple est le premier juge de ces sortes de choses, comme vous avez-vous-même dit dans les remarques que vous venez de faire ; vous devez le premier suivre ses sentiments, & confesser que le sujet de cette pièce est aussi ennuyeux, qu’il est mal conduit, & que vous êtes obligé à Mademoiselle Des Jardins de l’avoir soutenu par de si beaux vers. Je ne parlerai point des perpétuelles irrésolutions de Torquatus pendant cinq actes, qui parle sans cesse, et ne conclut rien, & qui agit si peu en Romain, que les Romains de son temps ne l’auroient pas reconnu. Pour Manlius, je ne le puis condamner à la mort, dont vous l’avez arraché , sans faire un trop long discours : l’on sçait assez que l’on ne doit pas user du droit de la Poësie, losque l’Histoire est si connue, & que vous avez changé l’unique action qui soit jamais arrivée de cette nature »
L’Abbé d’Aubignac répondit à de Visé dans sa Dissertation sur la tragédie de Sertorius ; mais il n’appuya que sur la liberté qu’uil s’étoit donnée de changer le fait historique dans la catastrophe de la Tragi-Comédie de Manlius, encore convient-il tacitement qu’on auroit dû éviter cette faute. Voici les termes.
«  Et pourquoi répandre son fiel sur le nom de Mademoiselle Des Jardins, qui n’a point de part à nos démêlés, vû même qu’il lui fait un reproche, dont elle se peut défendre aisément, en employant l’éxemple de M. Corneille lui-même, qui a souvent changées les Histoires qu’il a mises sur le Théâtre, quand il les a voulu rendre agréables….. Et quand même elle auroit failli, en sauvant Manlius, dont le nom et les avantures n’étoient pas si connues, que de César et d’Aléxandre, il lui seroit facile de tout réparer avec quinze ou vingt vers, qui contiendroient le récit de sa mort, au lieu que M. Corneille, pour rétablir le manquement de ses Pièces, auroit peine d’en conserver la moitié des vers. »
 

MARIE-CATHERINE DES JARDINS, nâquit à Alençon vers l’année 1640. Son père, Prevôt de la Maréchaussée, avoit épousé une femme de Chambre de Madame la Duchesse de Rohan, qui lui avoit apporté deux milles écus en mariage. La jeune Des Jardins donna de bonne heure des preuves de son esprit, & de son penchant à la galanterie. Son cousin, à peu près de son âge, lui rendit des soins ; & elle y répondit si tendrement, que craignant la fuite de son commerce, elle prit le parti de quitter la maison paternelle, & de venir à Paris. En y arrivant, elle se rendit chez la Duchesse de Rohan, qui, instruite de sa foiblesse & de son malheur, l’assura de sa protection contre le courroux de ses parents, & joignit à cette bonté celle de la mettre en pension dans une maison, où elle donna le jour à un garçon, qui mourut au bout de dix semaines.
Différentes petites pièces de poésie avaient fait connaître Mademoiselle Des Jardins à Alençon, et même à Paris ; mais lorsqu'elle fut dans cette dernière ville, elle s'attacha avec plus de soin à cultiver ce talent, qui lui donna une grande réputation parmi les beaux esprits de ce temps. La tragi-comédie de Manlius, dont l'Abbé d'Aubignac lui avait donné le plan, et qu'elle mit en vers, parut à l'Hôtel de Bourgogne avec succès, et son nom donna à votre pièce une réputation qu'elle n'aurait pas eue sans celui d'un autre.
La facilité que Mademoiselle Des Jardins avait de composer en vers et en prose, lui fit entreprendre un ouvrage sous le titre du Carouzel du Dauphin. Voici ce que Loret en dit dans sa Muse historique du 27 mai 1662.
[...]
Avant de poursuivre la vie littéraire et galante de Mademoiselle Des Jardins, il nous paraît nécessaire de placer ici son portrait composé par elle-même. Ce morceau peu connu, et digne de la curiosité du lecteur, fut composé en 1663.
[...]

On pourrait joindre bien des remarques à ce portrait, mais nous les supprimons pour continuer l'histoire de Mademoiselle Des Jardins.

Cette demoiselle donna en 1663 la tragédie de Nitétis, qui ne paraît pas avoir eu de succès ; cette petite disgrâce la dégoûta pour quelque temps du théâtre, et la fit retourner à ses petits romans, qui furent reçus du public avec beaucoup d'applaudissements. Malgré les occupations littéraires de Mademoiselle Des Jardins, son penchant l'entraînait toujours du côté de la galanterie. Parmi ses soupirants, le jeune Villedieu, capitaine d'infanterie, se fit distinguer, et obtint la préférence sur ses rivaux. Villedieu était le fils de Boesset, de la Musique du Roi : il avait de l'esprit, une figure aimable, et des façons pressantes. Cependant la demoiselle se défendit, et parla de mariage. Sa proposition fut acceptée, mais une petite difficulté s'opposa à sa bonne intention. Villedieu était marié depuis un an à la fille de M. de Fez, notaire, qui demeurait dans la rue Monmartre. Il fit part de cet obstacle à Mademoiselle Des Jardins qui, accoutumée à imaginer des expédients pour rendre les amants heureux, dit à Villedieu qu'il pouvait faire annuler son mariage en alléguant qu'il avait été forcé de la part de ses parents. Cette idée, toute folle qu'elle était, flattait trop le libertinage et l'amour de Villedieu, pour ne lui pas faire accepter comme un moyen invincible de s'unir à son amante ; ainsi, sans autre formalité, il fit publier des bans pour son mariage. Sa femme, informée de cette démarche, forma une opposition aux bans, et comme elle avait l'honneur d'être connue de la reine-mère, elle lui présenta un placet contre Mademoiselle Des Jardins. Celle-ci avertie de ce qui se passait contre elle, prit le parti de suivre Villedieu à Cambrai, où son régiment était en garnison. On ignore de quelle façon Villedieu et sa maîtresse s'arrangèrent pour conclure leur hymen dans cette ville : mais il est certain que quelque temps après ils revinrent ensemble à Paris, et Mademoiselle Des Jardins y parut sous le nom de Madame de Villedieu.

Son mari (puisqu'elle l'appelait ainsi) sentit son amour expirer pour elle, et renaître pour d'autres. La dame se plaignit en prose et en vers, mais ses plaintes ne servirent qu'à déterminer encore plus fortement Villedieu à lui faire des infidélités. Alors elle se crut en droit d'user de représailles, et comme la vengeance conduit souvent plus loin qu'on ne pense, Madame de Villedieu se paya avec usure du tort que son mari pouvait lui avoir fait. Villedieu fit le jaloux, sa femme n'en prit nul souci, l'altercation se mit dans le ménage, mais elle ne dura pas longtemps. Villedieu, obligé de partir pour l'armée, fut tué à la première rencontre des ennemis.

Cette mort mit la prétendue veuve en état de suivre son penchant pour l'amour mais en même temps elle ne laissa pas de mettre à profit les talents de son esprit, en donnant de nouveaux ouvrages en différents genres, au nombre desquels parut la tragi-comédie du FAVORI, qui fut assez bien reçue, quoiqu'elle méritât tout le contraire.
Madame de Villedieu (car elle continuait de prendre ce nom) s'était liée d'amitié avec la veuve d'un procureur nommé Thévart, qui demeurait sur la paroisse de Saint-Paul, dans la rue de Mûrier. Quoique cette veuve eût passé l'âge du retour, elle ne laissait pas d'avoir des vapeurs ; Madame de Villedieu, qui rapportait tout au plaisir des sens, conseilla à son amie de se remarier : la vieille se prêta à cette idée, et elle était sur le point d'épouser un jeune homme ; lorsqu'une apoplexie des plus brusques, lui fit perdre la vie en un quart d'heure. Cet événement fit un si grand effet sur l'esprit de Madame de Villedieu, qu'elle se repentit de la conduite qu'elle avait tenue jusqu'alors, et lui fit prendre la résolution de se retirer dans un couvent. Pour cet effet, elle se rendit à Conflans chez M. de Harlay, archevêque de Paris, où après avoir imploré les bontés de ce prélat, elle lui dit le dessein qu'elle avait formé. M. de Harlay, charmé de la conversion de cette spirituelle personne, la fit entrer dans une maison religieuse, où elle se fit aimer et estimer par la douceur de son esprit, et la piété qu'on remarqua dans ses actions.
Il faut croire qu'elle avait un vrai désir de continuer à vivre dans l'état qu'elle venait d'embrasser ; mais par malheur le frère d'une religieuse de la maison, qui avait connu très particulièrement Madame de Villedieu, eut l'indiscrétion de confier à sa sœur les aventures de cette dame. La religieuse, scandalisée au dernier point, fit part à toutes les personnes du couvent du récit de son frère ; on tint conseil, on députa à M. l'archevêque, et enfin, après avoir essuyé quelques réprimandes plus aigres que chrétiennes, Madame de Villedieu fut congédiée par une délibération des religieuses du couvent.
Une sœur de Villedieu, qu'on appelait Madame de Saint-Romain, offrit à sa désolée belle-sœur un asile dans sa maison : Madame de Saint-Romain recevait grand monde chez elle, et Madame de Villedieu y reprit en peu de temps son ton de galanterie.
Le marquis de la Chatte, âgé d'environ soixante ans, peu partagée des dons de la fortune, et né avec un grand goût pour les plaisirs, venait fréquemment chez Madame de Saint-Romain. Il y vit Madame de Villedieu, lui rendit des soins, se fit écouter et obtint un tendre aveu, mais qui fut enveloppé d'une proposition de mariage. M. de la Chatte parut comblé de cette offre, et l'accepta : il était trop amoureux pour se ressouvenir qu'il était déjà le mari d'une femme qui vivait, et quand même il se serait rappelé ce fait, il aurait cru devoir l'oublier, par la circonstance qui l'avait suivi.
On a dit que M. de la Chatte avait peu de bien, ainsi, pour réparer ce malheur, il avait jugé à propos de sacrifier la naissance à la fortune, en épousant la fille d'un cordonnier de la rue Saint-Louis au Marais, qui lui apporta en dot vingt-cinq mille écus de contrats sur l'Hôtel de Ville. Cela formait un effet considérable pour le temps, s'il avait été réel ; mais les contrats se trouvèrent faux. Le marquis de la Chatte, quoique touché au-delà de toute expression de l'insigne tromperie de son beau-père, n'en témoigna aucun ressentiment au dehors ; mais résolu de quitter sa femme, il sollicita et obtint une compagnie dans les troupes que le roi envoyait alors au secours de l'île de Candie, qui appartenait à la République de Venise, et dont les Turcs s'efforçaient de s'emparer.
Plus de dix années se passèrent avant le retour de M. de la Chatte à Paris ; lorsqu'il y fut arrivé, il apprit avec grand plaisir que sa femme, pendant son absence, s'était retirée en province, où elle vivait d'un peu de bien que son père lui avait laissé en mourant.
Madame de Villedieu n'ignorait pas l'histoire du marquis de la Chatte ; mais se croyant destinée à épouser des hommes mariés, elle ne chercha qu'à éviter les obstacles qu'elle avait essuyé de la part de la femme de Villedieu ; le moyen le plus court fut celui d'aller à dix ou douze lieues de Paris, où elle trouva un curé qui la maria avec M. de la Chatte.
Cette affaire terminée, les nouveaux époux revinrent à Paris, et annoncèrent leur mariage à leurs meilleurs amis, mais sous le sceau du secret. Mme de la Chatte devint grosse, et accoucha d'un enfant que M. le dauphin, et Mlle de Montpensier firent tenir sur les fonds de baptême.
Cet enfant ne vécut qu'un an, et sa mort fut suivie de celle de M. de la Chatte, occasionnée par une fluxion de poitrine. Mme de la Chatte parut inconsolable, mais enfin le temps qui détruit tout, anéantit si bien la douleur, qu'elle oublia jusqu'au nom du défunt, pour reprendre celui de Villedieu, qui lui plaisait davantage.
Madame de Villedieu passa encore quelques années dans le monde, où elle s'occupa à composer des romans pleins d'esprit, et de tendresse ; et enfin elle se retira à Clinchemore, petit village dans le Maine, où sa mère avait choisi sa retraite, après le décès de son mari.
C'est dans ce village que Madame de Villedieu termina ses jours, dans un âge peu avancé, par l'excès d'eau de vie qu'elle s'accoutuma de boire, même à ses repas. Elle mourut à la fin du mois d'octobre, ou au commencement du mois de novembre de l'année 1683, âgée de quarante-trois ans. C'est M. de Visé qui nous a marqué cette date : voici le passage. Mercure galant, Novembre 1683, p. 267-69.

"On me vient d'apprendre la mort d'une dame, que son esprit a rendue illustre, et qui a paru dans le monde sous trois noms ; savoir, de Mademoiselle des Jardins, de Madame de Villedieu, et de Madame de Chate. Elle avoit une manière d'écrire aussi galante que tendre, et peu de personnes ont un style aussi aisé. Les ouvrages qu'elle a donnés au public sont :


Les Amours des grands hommes
Les Annales galantes
Carmante, histoire grecque
Les Fables allégoriques
Les Galanteries grenadines
Les Nouvelles afriquaines
Les Œuvres meslées
Le Journal amoureux
Les Désordres de l'amour.


Le sieur Barbin qui a imprimé tous ces ouvrages, en a encore beaucoup d'elle, et le premier qu'il mettra au jour, a pour titre, Le Portrait des faiblesses humaines.

Ouvrages dramatiques de Mademoiselle Des Jardins.
Manlius Torquatus, Tragi-comédie, 1662
Nitétis, Tragédie, 1663.
Le Favori, Tragi-comédie, 1665.


 

Article Nitétis (p. 197-198)


Tragédie de Mademoiselle Des Jardins, Représentée sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 27 Avril.


Muse historique de Loret du 27 avril 1663

NITETIS, tragédie exquise,
Depuis plus de six mois promise,
(Ce m’a dit un certain mortel)
Aujourd’hui se joue à l’Hôtel,
On dit, qu’en elle sont encloses,
Quantité de fort bonnes choses ;
On y voit de l’esprit galant,
Du doux, du fort & du brillant ;
Et quoique cette Pièce brille,
C’est pourtant l’œuvre d’une fille ;
Ce n’est pas un cas fort nouveau,
Quand dans le sexe appellé beau,
Il se trouve de belles ames,
Et que des filles et des femmes,
Fassent en des jargons fort nets,
Chansons, madrigaux, & sonnets ;
Mais pour des Pièces de Théâtre,
Dont le peuple soit idolâtre,
Mademoiselle des Jardins
Dont les vers ne sont pas gredins,
Mais excellens à triple étage,
A seule ce rare avantage,
Enfin icelle NITETIS,
Plaît, dit-on, à de grands esprits,
Et des quidams m’ont fait entendre,
Qu’elle a des endroits à surprendre.

Si la tragédie Nitétis a eu le succès annoncé par Loret, il faut croire que le nom de l'auteur y a plus contribué que le mérite de la composition. Comme les ouvrages de Mademoiselle Des Jardins, ou Madame de Villedieu sont extrêmement répandus, nous croyons être dispensés de rendre un compte exact de celui-ci ; et qu'il suffit d'ajouter par forme de correction au passage de Loret, que le plan de Nitétis est mal construit, que les personnages de la pièce sont faibles ou manqués, et que la versification en est si médiocre, qu'elle pourrait passer pour de la prose rimée. Au reste la tragédie de Nitétis de M. Danchet, représentée en 1723 doit peu de chose à celle qui fait le sujet de cet article, cependant dans l'un et l'autre, Nitétis est aimé du fils d'Amafie, usurpateur du royaume d'Egypte. [...]

 


 

Article Le Favori (p. 350-359)


Tragi-Comédie de Mademoiselle Des Jardins, Représentée sur le théâtre du Palais-Royal, au commencement du mois de Juin.

Rien de plus petit que le sujet de cette tragi-comédie, qui paroît être imaginée par MDJ. Moncade, Favori du Roy de Barcelonne, est insensible à tous les honneurs qu’il reçoit, persuadé qu’il est, que c’est à la fortune, & non à lui, qu’ils sont adressés. Il aime Lindamire, & en est aimé, mais sa délicatesse lui fait croire que l’amour de cette Maîtresse, n’est qu’un amour de politique. Le Roy de Barcelonne, qui s’interesse à Moncade, lui commande d’un ton absolu de lui dire le sujet de sa mélancolie.

[Extrait Acte I scène 6] 

Moncade est arrêté par l’ordre du Roy. Clotaire, Prince réfugié à la Cour de Barcelonne, & qui a reçu des services importants de la part du Favori, devient son accusateur auprès du Roy ; Elmire qui feignoit d’aimer Moncade, suis l’éxemple de Clotaire, mais Lindamire et Dom Alvar marquent leur sincere amitié ; la premiere en voulant suivre son amant dans son éxil, et Dom Alvar en défendant son ami contre les calomnies de Clotaire & d’Elvire.

[Extrait scène dernière]

La tragi-comédie du Favori fut représentée à Versailles devant le Roy la nuit du 13 au 14 Juin, Robinet va nous faire le récit de cette représentation.

Lettre en vers du 21 Juin 1665

Mais passons dans une autre lieu,
Qui sent la demeure d’un Dieu,
Passons dans cette Ile Enchantée….
Tant renommée, et tant vantée,
Et jargonnons, du grand Cadeau,
Qui fut royal, & si beau.
Et qui se fit dans ce lieu-même,
La nuit du treize au quatorzième.

……………………………………………………………..

Quand ces divinités visibles,
Que je voudrois voir impassibles,
Eurent pris séance en leur rang,
Ainsi que chacune la prend,
Avec cette fine noblesse,
Tant de l’un que de l’autre sexe,
Qui fait leur cour en chaque lieu,
Dessus la Scene du milieu,
La Troupe plaisante et comique,
Qu’on peut nommer Moliérique,
Dont le Théâtre est si chéri,
Représenta le Favori,
Pièce divertissante et belle,
D’une fameuse Demoiselle……
Que l’on met au rang des neuf sœurs,
Pour ses poëtiques douceurs.
Plusieurs ravissantes entrées,
Dans la pièce etoient insérées,
Avecque d’excellents concerts,
Composés d’instrumens, & d’airs ;
Si bien que le tout pris ensemble
Fit un bel effet ce me semble,
Et causa beaucoup d’enjouement,
Il n’en faut douter nullement.
Après, sur le Théâtre même,
Notre Cour en liesse extrême,
Ayant pris la collation,
De bonbons en profusion,
Fit voir sa grace et son adresse,
Aussi-bien que son allégresse.
Par maints et maints pas figurés,
Bien cadancés et mesurés ;
Cela veut, en bon françois, dire,
Que notre rare & digne Sire
Voulut aussi donner le bal
Pour augmenter ce beau régal.