Sabatier de Castres

portrait de Madame de Villedieu

Les Trois siècles de la littérature française, ou Tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1773, Par M. l'Abbé S***, de Castres, Nvelle éd., corrigée et augmentée considérablement, A Amsterdam, et se trouve à Paris chez de Hansy, le jeune, rue Saint Jacques, 1774, t. II, p. 190-192 :

Jardins de Villedieu, [Marie-Catherine des] née à Alençon en 1632, morte en 1683.

On disait que pour écrire ses romans elle s'était servie d'une plume tirée des ailes de l'Amour, louange peut-être excessive, mais due au talent avec lequel elle a su peindre la puissance de ce Dieu. Peu d'hommes ont mieux connu la marche des passions, et peu ont su les mettre en action avec plus d'énergie. Ses nombreux ouvrages en ce genre sont Les Désordres de l'amour, Les Annales galantes, Les Exilés, Les Amours des Grands hommes. Dans tous, on reconnaît une adresse singulière à profiter de certains traits de l'histoire pour parvenir au but qu'elle s'était proposé, et ce but est toujours une morale agréablement embellie, seul mérite qui puisse faire valoir un roman.
Sa vie aurait fourni matière à un des plus singuliers. A l'âge de dix-neuf ans elle vint à Paris où elle épousa d'abord M. de Villedieu. Peu de temps après elle se sépara de lui, consentit que ce mariage fût déclaré nul, et se remaria avec M. de Chate. Après la mort de celui-ci, elle épousa M. Desjardins son cousin. Quoique son premier mari ait été vraisemblablement celui qu'elle a le moins aimé, son nom lui fut cependant toujours cher. Elle le mit constamment à la tête de tous ses ouvrages, peut-être parce qu'elle le trouvait plus propre à parer un frontispice.
Après avoir lu les romans de Madame de Villedieu, on est fâché de savoir qu'elle est l'auteur de Manlius, de Nitétis et d'une espèce de tragi-comédie intitulée Le Favori, trois pièces qui prouvent combien elle a méconnu son talent. Ses poésies fugitives sont infiniment plus dignes de l'attention du lecteur. La plupart sont d'un goût et d'une délicatesse, capables d'effacer tout ce que la foule de nos poètes fugitifs modernes ont fait de plus passable. Un des beaux esprits de son temps a tâché de la louer par ces vers prosaïques.

Plus je relis ce que vous faites,
Plus je connais ce que vous êtes.
Il ne faut que vous mettre en train.
Tout le monde, Iris, vous admire.
Si les Dieux se mêlaient d'écrire
Ils emprunteraient votre main.
Vous faites des choses si belles,
Si justes et si naturelles
Que votre style est sans égal.
Sans cesse je vous étudie :
Qui peut être votre copie
Passe pour un original. [1]


[1] Frédéric Lachèvre attribue ce madrigal au poète Saint-Pavin (Disciples et successeurs de Théophile, Paris, Champion, 1911, p. 418).