Le Pays (René)

portrait de Madame de Villedieu

Amitiez, Amours et Amourettes par Monsieur Le Pays, Nouvelle édition augmentée de Zélotyde, histoire galante, composée par le même auteur, Sercy, 1685.

 

Nous exprimons notre reconnaissance à Stéphanie Schwitter, qui nous a signalé ces références en ligne.

 

À MADEMOISELLE des Jardins.
En luy envoyant des Livres.
LETTRE XVII.

 

« JE vous envoye les Livres que vous m'avez demandez pour dissiper le chagrin de vostre solitude : Mais souvenez-vous, Mademoiselle, que sçachant écrire avec tant de justesse, vous ne devez pas employer tout vostre temps à lire. Le Public vous demandera compte de vostre longue retraite, & ne vous pardonnera pas, si vous ne luy de belles choses, aprés avoir esté dans un lieu si propre à les faire. N'alleguez point pour vostre excuse que Cavaillon semble une demeure tranquille, où pourtant l'inquietude semble se glisser, & que ceux qui combattent en Barbarie vous causent un soucy capable de troubler vostre solitude. Nous n'ignorons pas, Mademoiselle, que vous avez un Amant à Gigery, & que vous devez craindre tous les coups de mousquet qu'on y tire : Mais cette raison ne vous justifira point. Ce mesme soucy & cette mesme crainte doivent vous inspirer les plus belles choses du monde, & l'on pretendra que vous avez dû nous faire part de vostre chagrin contre les Turcs & contre les Barbares. Vous estes de ces Personnes qui doivent au Public tous leurs secrets, & qui nous font un larcin quand elles nous cachent une de leurs pensées. Je vous le dis serieusement, Mademoiselle, je ne sçay ce qu'on penseroit de vous, si vous n'aviez pas pensé & écrit de belles choses dans vostre retraite. Je ne sçay mesme si quelque envieux ne vous diroit point que vous n'aviez pas auprés de vous ce Poëte C… qui doit vous avoir fourny les plus beaux Vers de Manlius & de Nitetis. Songez à éviter de semblables reproches, & répondez à l'attente de tout le Monde. &c...... » (p. 65-67)

 

À LA MESME,
Sur ce qu'elle m'avoit crû mort.
Le 28. Juin 1665. LETTRE XVIII.

 


« VOus avez esté six mois sans m'écrire, parce que durant six mois vous m'avez crû mort. En verité, Mademoiselle, cette excuse est legitime, & j'aurois tort de n'en estre pas satisfait : Mais parlons serieusement ; Ne faut-il que tuer les gens pour s'empécher de leur écrire, & dés lors qu'ils ne sont plus dans vostre memoire, est-il necessaire qu'ils ne soient plus au monde ? Sçavez-vous bien que vous avez commis un veritable assassinat, puisque vous m'avez tué alors que j'y pensois le moins ? Hé là là, mon beau genie, confessez qu'une si pauvre excuse ne doit pas partir d'un esprit si riche. Tout Provinciaux que nous sommes, nous ne sommes pas si aisés à tromper. Nous nous deffions de vous autres faiseurs de Romans & de Comedies, de vous autres qui avez tant accoûtumé de mentir, & de mentir si éloquemment. Ne vous estonnez donc pas, Mademoiselle, si vostre excuse ne m'a point persuadé : car enfin qui auroit pû semer le bruit de ma mort, & quel interest peut avoir le Public à tuer un homme, dont la mort luy doit estre pour le moins indifferente ? Je n'ay pas assez de bien pour faire soûhaitter ma succession à personne : Je ne suis ny un Chicaneur ny un Usurier qui tourmente mes Voisins ; & jamais je n'ay eû le moindre mouvement d'estre rebelle ny à ma Religion ny à mon Prince. Je suis un bon garçon qui n'ay dequoy vivre que pour ne mourir pas ; je ne connois les procez ny l'avarice; & en matiere de foy & d'obeïssance, jamais homme ne fut plus soûmis que moy. Je ne voy donc pas que personne ait interest à ma mort, si ce n'est vous, ma chere Demoiselle, afin de vous exempter de m'écrire.
Helas ! ne tuez pas les gens pour si peu de chose. Nous sçavons combien les Lettres vous coûtent peu. Moy qui vous ay veuë au milieu d'une foule sur la table d'une cuisine faire six dépesches de suite sans vous assoir, & sans cesser de nous entretenir : mais des dépesches qui n'eussent pas cedé aux Lettres de nos Maîtres les Sarrazins, les Marignis, & les Voitures : Moy dis-je, qui vous ay veu écrire avec tant de facilité, puis-je m'empescher de condamner vostre paresse ? Dois-je trouver bon que vous aimiez mieux qu'il m'en coûte la vie, qu'à vous la peine de me faire une Lettre ? Encore vous pardonnerais-je vostre cruauté, si en me tuant vous me faisiez mourir innocent : Mais puis-je souffrir que vous m'accusez de ne vous avoir pas fait de réponse, moy qui ay tant de sujet de vous faire ce reproche ? Depuis que je vous laissay en Provence, je n'ay receu que deux de vos Lettres, & vous avez dû en recevoir quatre des miennes. Je croy mesme que vous les avez receuës ; quand on ne fait pas conscience de tuer les gens, on ne croit pas qu'il y ait du crime à suprimer des Lettres.
Je suis doublement obligé à Monsieur de la Tournelle, puisqu'il m'a ressuscité chez vous, & qu'il a leu chez moy cette agreable Sylve, dont vous luy donnâtes une copie à Lyon. Je n'ay rien veu de ma vie de pensé ny d'exprimé plus delicatement. Je m'imagine que dans vostre retraite vous en avez fait bien d'autres. Vôtre Muse se sera prevaluë de vostre solitude ; car les doctes Sœurs ne font jamais rien faire de si beau, que quand elles trouvent les beaux Esprits à ne rien faire. Elles sont si bonnes menageres du temps, que le repros le plus profond leur sert pour les travaux les plus achevez. C'est ce qui me fait croire que durant vostre doux & paisible sejour de Cavaillon, vous aurez produit des choses encore plus fortes & plus brillantes, que celles que vous avez faites parmy le bruit & l'embaras de Paris. De grace, Mademoiselle, faites-moy part de ces belles choses, & puisque l'on a joüé vostre Favory à Versailles, obligez-moy de me mander quel en a esté le succez. Comme la Cour a le goust bon, cét Ouvrage aura esté son Favory aussi bien que le vostre. S'il est imprimé envoyez m'en un Exemplaire ; s'il ne l'est pas, envoyez-moy du moins la Copie des fragments que vous me recitâtes icy, & que je trouvay si beaux. Si vous estiez d'humeur à recevoir les Fleurettes de nos Montagnes, pour vous payer des Fleurs de vos Parterres, je pourrois vous envoyer des Églogues & des Madrigaux en échange de vos Odes & de vos Comedies. Mais je ne vous conseille plutost de n'exiger rien de moy en payement, puisque vos Ouvrages ne peuvent estre payez, & qu'il vaut mieux que je vous en aye l'obligation tout entiere. » (p. 67-71).

 

 

« Titres de la Noblesse de la Muse Amourette. À Monseigneur du Gué, Intendant, etc. Lettre 26. »



« Madame la Comtesse de la Suze, Mademoiselle de Scudery, & Mademoiselle des Jardins, sont présentement les Sapho de notre siècle, & sont louées par des hommes qui ne cèdent point à Plutarque, à Aristote, ni à Socrate. »
(p. 343-344).