Le Mercure Galant

RECHERCHE


portrait de Madame de Villedieu

 

Le Mercure galant sur OBVIL (L'Observatoire de la Vie Littéraire)

 
1672 tome I, janvier-avril

p. 260-267 :
[L'institution de l'Académie des belles Lettres, avec les noms de Messieurs les Académiciens]

PUIS que vous souhaitez, Madame, qu’apres vous avoir entretenu de l’Académie Françoise, je vous dise quelque chose de celle de l’Abbé d’Aubignac, dont vous avez (dites-vous) oüy parler confusément ; je vous diray qu’elle s’appelloit l’Académie des belles Lettres, & que son institution estoit pour examiner les Ouvrages d’Eloquence et de Poësie. On y faisoit le premier jour de chaque Mois un Discours sur la diversité des Conditions, où l’Eloquence se trouvoit necessaire. Le premier Discours échût à Monsieur Blondeau Advocat en Parlement : Il le fit sur l’éloquence du Barreau, & s’en acquita tres-bien, dans la grande Salle de l’Hostel Matignon, devant une Assemblée composée de plusieurs Personnes de qualité de l’un & de l’autre Sexe. Monsieur le Marquis de Vilaines se fit admirer un mois apres luy sur l’éloquence Militaire. L’impression qu’on a faite de ce Discours est une marque de bonté, c’est pourquoy je n’en parleray point, & je passeray au troisieme ; qui échût à Monsieur l’Abbé de Saint-Germain. Les deux autres ayant fait des Discours qui regardoient leur Profession, cet illustre Abbé en voulut faire sur l’éloquence de la Chaire : Il eut un succés tres-avantageux, & qui satisfit merveilleusement toute la belle Assemblée qui l’entendit. Monsieur Perachon se fit admirer un mois apres ; & les autres Académiciens donnerent de mois en mois des marques de leur esprit et de leur érudition. À la fin de ces Discours, on lisoit des Ouvrages de Poësie composez par quelques-uns de Messieurs de l’Académie. Voicy le nom de ceux qui la composoient.

Monsieur l’Abbé d’Aubignac, Directeur.
Monsieur de Vaumorieres, Sous-Directeur.
Monsieur de Gueret, Secretaire de l’Académie.
Feu Monsieur le marquis du Châtelet.
Monsieur le Marquis de Vilaines.
Monsieur le Marquis d’Arbaux. 
Monsieur Petit, Directeur apres Mr l’Abbé d’Aubignac.
Monsieur Perachon, Advocat au Parlement.
Monsieur l’Abbé de Vilars.
Monsieur l’Abbé de Villeserain, à present Evesque de Senés, Directeur apres Monsieur Petit.
Feu Monsieur l’Abbé Ganaret.
Monsieur de Launay.
Monsieur Caré, Advocat en Parlement.
Monsieur Richelet.
Monsieur du Perier.
Feu Monsieur Baurin, Advocat au Conseil.
Monsieur Barallis Medecin.
Monsieur l’Abbé de Saint Germain.

Cette Illustre Académie a esté rompuë depuis que Monsieur de Villeserain a esté nommé à l’Evesché de Senés. On avoit eu dessein quelque temps auparavant d’y faire entrer des Femmes, & l’on proposoit Madame de Villedieu, dont les Ouvrages font tous les jours tant de bruit. On comptoit aussi la Marquise de Guibermeny, Fille de Monsieur le Marquis de Vilaines : Elle a l’esprit penétrant & délicat, & on ne peut assez la loüer. On n’oublioit pas Madame la Marquise Des-houlières : Vous en avez oüy parler, Madame, car son mérite la fait connoistre partout ; elle écrit tres-polîment en Prose & en Vers, & c’est enfin un Esprit du premier ordre.

p. 306-310 :
[Discours sur les Livres nouveaux de Galanterie]

JE vous envoye, Madame, une partie des Livres nouveaux qui se vendent depuis peu chez Mr Barbin. Le Beralde, d’un Autheur inconnu, vous paroistra bien escrit. Les Exilez de Mme de Villedieu, vous divertiront beaucoup ; les incidens en sont agréables & délicatement touchez ; & cette spirituelle Personne, dont jusques icy tous les Ecrits ont reüssy, mérite beaucoup de loüanges. Je vous envoie aussi le second Tome des Ouvrages de Monsieur le Païs : Le premier a eu autrefois un tres-grand succès ; vous jugerez de celuy-ci. Je vous feray part dans huit jours d’un Livre nouveau de Monsieur Ménage ; ce sont les Observations sur la Langue Françoise. Quoy qu’on ne doive pas toûjours estimer un Ouvrage par son succés, on peut néant-moins juger du mérite de celuy-ci par le plus grand bruit qu’il fait, puis que c’est avec justice qu’il plaist ; & dans quelque temps, au lieu de dire parler Vaugelas, pour loüer ceux qui parleront bien, on ne dise parler Ménage. Ce grand homme (on peut le nommer ainsi puis qu’il a beaucoup d’érudition) expose d’abord toutes les différentes façons de parler, qui signifient, ou que l’on veut qui signifient une méme chose. Il cite tous ceux qui s’en sont servis ; & apres avoir fait voir leur veritable étimologie, il décide presque toûjours en faveur de l’Usage, qu’il dit estre le souverain Maistre du Langage. C’est aussi à quoy l’on se doit le plus attacher ; & quand on pécheroit contre les regles, on ne pouroit mal parler. Cette décision d’un si fameux Autheur sera d’une grande utilité, & fera qu’à l’avenir tout le monde s’entendra, & parlera d’une mesme maniere ; au lieu qu’on auroit toûjours veû le contraire, tant que les Sçavans auroient parlé selon l’usage, & les autres à leur fantaisie, c’est à dire tantost d’une maniere, tantost de l’autre ; ce qui avec le temps auroit apporté beaucoup d’obscurité dans la Langue. Ainsi, Madame, tous les François ont beaucoup d’obligation à Monsieur Ménage de la peine qu’il s’est bien voulu donner de leur apprendre à parler.



1678, janvier, tome I

p. 276-280 :

Vous ne serez point fâchée sans-doute d’entendre aujourd’huy parler de la Justice au lieu de luy [Mr Talon Premier Avocat General]. Oyez ce que Madame de Villedieu luy fait dire [à la Justice]. Tant d’Ouvrages que nous avons d’elle, écrits avec autant de délicatesse que de netteté, vous donnent une assez forte assurance qu’il ne peut rien partir d’elle, qui ne soit fort digne d’estre écouté.

Exclamation de la Justice sur le choix que le Roy a fait de Mr le Tellier pour estre Chancelier de France.

Enfin, grand Jupiter,
Voici le jour heureux,
Où depuis si longtemps
Aspiroient tous mes vœux,
Je voy l’ordre Eternel qui gouverne la France,
Remplir pour ce cher lieu ma plus douce esperance,
Et ta main conduisant le plus grand de ses Rois,
Le Sage LE TELLIER administrer mes Loix.
Dèja quand par les soins que tu prens de la Terre,
Tu fis nommer son Fils Ministre de la Guerre,
Je crûs que pour m’offrir un Empire nouveau,
Tullus Hostilius sortoit de son Tombeau.
Le droit de tout oser, la licence impunie,
Qui d’entre les Guerriers sembloit m’avoir bannie,
Au seul nom de LOÜIS, prononcé par LOUVOY,
Comme Ennemis vaincus s’enfuirent devant moy ;
Je vis sous l’Etendart la plus fière jeunesse
Soûmettre ses ardeurs aux Loix de la Sagesse,
Les Pavillons du Prince & de son General,
Ne se planter au Camp qu’apres mon Tribunal ;
Mais que ne vois-je point dans ce jour salutaire ?
Je voy la Loy Civile, & la Loy Militaire,
Ranger sous mesme esprit ces deux divers Estats,
Et le Pere & le Fils devenir mes deux bras.
Tu me les as donnez, ô Prince incomparable,
Monarque, qui des Dieux es l’organe adorable.
Tu joins ce juste choix à tant de choix divers,
Qui t’ont déja rendu l’honneur de l’Univers.
Qu’à jamais sur tes choix les lumières divines
Prennent du sein des Dieux ainsi leurs origines ;
Qu’à jamais tes projets & de Guerre & de Paix,
Puissent ainsi remplir mes plus ardens souhaits,
Et puisse par ses Vœux la France fortunée,
Obtenir si long-temps la mesme destinée,
Que pour un Siecle entier la préferant aux Cieux,
Je suive de LOüis tous les pas glorieux.
 

Novembre 1683


p. 164-165 :
 

Mort de Madame de Chate, autrefois Mademoiselle des Jardins


On me vient d'apprendre la mort d'une dame, que son esprit a rendue illustre, et qui a paru dans le monde sous trois noms ; savoir, de Mademoiselle des Jardins, de Madame de Villedieu, et de Madame de Chate. Elle avoit une manière d'écrire aussi galante que tendre, et peu de personnes ont un style aussi aisé. Les ouvrages qu'elle a donnés au public sont :

Les Amours des grands hommes
Les Annales galantes
Carmante, histoire grecque
Les Fables allégoriques
Les Galanteries grenadines
Les Nouvelles afriquaines
Les Œuvres meslées
Le Journal amoureux
Les Désordres de l'amour
.

Le sieur Barbin qui a imprimé tous ces ouvrages, en a encore beaucoup d'elle, et le premier qu'il mettra au jour, a pour titre, Le Portrait des faiblesses humaines. Ils ont tous eu un si grand succès, qu'on peut en attendre un pareil de ce dernier.