Richelet (Pierre)

portrait de Madame de Villedieu

Les plus belles Lettres françoises sur toutes sortes de sujets, Tirées des meilleurs Auteurs, avec des Notes. Par P. Richelet, t. I., Paris, Michel Brunet, 1698,  n. p. :

 


DES JARDINS, (Marie-Catherine) naquit à Alençon, petite ville dont son Père était Prévôt. Dès qu'elle eut dix-neuf à vingt ans, elle commença de jeter les yeux sur son peu de bien, et se voyant pauvre et avec autant d'espoir que d'ambition, elle vint à Paris dans le dessein de s'y faire connaître et de changer sa fortune. Elle ne se trompa point tout à fait là-dessus. A la faveur de son génie, elle fit bientôt parler d'elle, et l'on chercha à en avoir la connaissance. M. de Villedieu, gentilhomme bien fait et assez accommodé, fut l'un des premiers qui connut Mademoiselle Des Jardins. Il l'estima, il l'aima, quoiqu'elle ne fût pas belle, et l'épousa. Mais par malheur, quelque temps après, il mourut. La pauvre femme se retira de regret en Religion ; mais lorsqu'elle y eut un peu soulagé sa douleur, elle en sortit ; elle rentra dans le monde, et épousa en secondes noces M. de La Châte, qu'elle enterra aussi. Touchée de ce nouveau malheur, elle renonça entièrement au mariage, et se résolut de passer le reste de ses jours dans la galanterie. Elle se mit donc à prêter l'oreille aux fleurettes des galants, et à leur faire réponse par des lettres où il y a un caractère fin et délicat. Elle eut effectivement en tous ses ouvrages de nouveaux tours, de nouvelles expressions, et des sentiments d'amour auxquels l'esprit avait plus de part que le cœur. L'un de ses galants composa cette petite pièce à la faveur de cette ingénieuse dame :

Plus je relis ce que vous faites,
Plus je connais ce que vous êtes.
Il ne faut que vous mettre en train.
Tout le monde, Iris, vous admire.
Si les Dieux se mêlaient d'écrire
Ils emprunteraient votre main.
Vous faites des choses si belles,
Si justes et si naturelles
Que votre style est sans égal.
Sans cesse je vous étudie :
Qui peut être votre copie
Passe pour un original. [1]

Cette Épigramme, quoiqu'un peu flatteuse, marque bien des vérités, et ne les dit pourtant pas toutes ; car outre que Mademoiselle Des Jardins avait un caractère d'esprit excellent, elle avait une humeur charmante. Elle aimait à railler finement, et souffrait la raillerie d'une manière qui lui gagnait l'estime et le cœur de tout le monde.

 

[1] Frédéric Lachèvre attribue ce madrigal au poète Saint-Pavin (Disciples et successeurs de Théophile, Paris, Champion, 1911, p. 418).