Fernand Mazade (1928)

portrait de Madame de Villedieu

RECHERCHE

Notice présentée par Maxime Cartron

couverture

 

MAZADE (Fernand) – Anthologie des poètes français des origines à nos jours, t. III, Paris, Librairie de France, 1928, p. 106-107 :

    Marie-Catherine-Hortense des Jardins était Normande. Elle avait vu pour la première fois la lumière à Clinche-Maure, village morne à quatre lieues de l’heureux Alençon où son père était prévôt. Ce fut une enfant agitée, effervescente et fantasque. Ce fut une adolescente inquiète, curieuse et passionnée. De taille courte et mince, mais avec une gorge favorablement dessinée, elle avait à seize ans le visage le plus expressif de notre bas monde : de vastes yeux, étincelants d’ardeur brune et d’intelligence, une bouche saine, d’une belle couleur de rose mouillée, mais un peu trop grande peut-être, un peu trop bien fendue, et qui parlait presque sans discontinuation. Presque seulement, car cette jeune personne se plaisait à donner des baisers ou à en recevoir ou, pour mieux dire, à en recevoir en en donnant, et dans le silence. A dix-huit ans, ayant lu Ronsard et Bellay, Théophile et Tristan, elle se sentit autant de penchants pour les lettres que pour l’amour : un penchant irrésistible. Ces deux penchants l’amenèrent à considérer le séjour de Paris comme le seul où ils se pussent satisfaire. Assez brusquement, Marie-Catherine-Hortense quitta Alençon avec une troupe de comédiens dont elle partagea, chemin faisant, les jeux, la gloriole et la pauvreté ; et elle composa ses premiers vers par quoi elle affirmait, en toute franchise, que la vertu dépend autant du tempérament que des loix :

Presque toujours chacun suit son caprice.
Heureux est le mortel que les destins amis
Ont partagé d’un caprice permis,
Et de qui le transport devient une justice.
Quand de ce don du Ciel un cœur est revestu,
Quoy qu’il ose, quoy qu’il chérisse,
C’est toujours à l’honneur qu’il fait un sacrifice :
Mais si d’un sort contraire il estoit combattu,
Le lasche feroit pour le vice
Tout ce qu’il fait pour la vertu.

     Le destin de mademoiselle des Jardins était évidemment de donner dans la galanterie, et elle y donna jusqu’au jour où un prêtre de rencontre (c’était un prêtre hollandais) l’unit à Monsieur de Villedieu, capitaine d’infanterie. Union pour rire. Néanmoins, Marie-Catherine-Hortense prit le nom de son prétendu mari ; et elle le garda tant que celui-ci vécu, et même après qu’il eut été tué à la guerre. Alors, pour se consoler de son soi-disant veuvage, la poétesse aux yeux étincelants d’ardeur brune se retira dans un couvent. Elle avait le dessein d’embrasser la chasteté ; mais elle manque de persévérance ; et la même inconstance qui l’avait fait délaisser le plaisir pour entrer en religion, la fit sortir de la religion pour retourner dans le plaisir. Elle espéra épouser, et en bonne et due forme, un monsieur de La Chasse (ou de La Chatte), gentilhomme sexagénaire. Mais ce gentilhomme était marié ; et ce sexagénaire avait un faible pour les tendrons. Madame de Villedieu se fâcha : elle tourna le dos à monsieur de La Chasse, et elle lui envoya, par exprès, un sixain Contre les vieux amans qui entre-prennent de plaire à de jeunes dames.

Quand vieux seigneur entre-prend jeune dame
Il ne fait qu’applanir les chemins de son ame
Pour un plus jeune qui le suit.
Par ses sçavans conseils, ses ruses, son adresse
Il va semant les germes de tendresse
Dont un autre cueille le fruit.

      Le gentilhomme sexagénaire n’en mourut pas sur le coup ; mais il en mourut tout de même : trois ou quatre ans après. Et pendant trois ou quatre ans (plutôt quatre), madame de Villedieu se plongea dans la débauche. Si elle ne s’y noya pas, c’est qu’elle savait nager. Et puis, aussi brusquement qu’elle avait quitté Alençon pour venir à Paris, elle partit de Paris pour retourner à Alençon. Elle y retrouva un de ses cousins, Pierre des Jardins, qu’elle se rappela avoir aimé violemment aux jours de son adolescence. Le cousin se souvint aussi. Et, cette fois, l’aventure se termina par un véritable mariage. Les conjoints n’étaient plus très jeunes : la lune de miel fut une lune à son dernier quartier. Pierre n’avait pas d’argent. Il n’en gagnait pas, car il était paresseux. Par contre, Marie-Catherine-Hortense travaillait avec acharnement : elle écrivait du matin au soir. Mais ses vers ne lui rapportaient rien, et sa prose pas grand’chose. Le prix de la vie étant extrêmement élevé à Alençon (un poulet y coûtait un sou), la pauvre femme se réfugia dans son village natal ; et c’est à Clinche-Maure qu’elle trépassa, « très mal à son aize », nous dit un de ses contemporains. Voiture avait présagé qu’elle finirait folle. Il s’était trompé : elle est morte de faim.

      Elle avait un esprit étincelant comme ses yeux, une conversation vive et joueuse. Elle adorait plaisanter les gens et souffrait que les gens la plaisantassent : elle avait un caractère charmant, aussi amène qu’enthousiaste, aussi conciliant que fougueux. Si elle se brouilla avec plusieurs femmes et avec un homme ou deux, elle n’en conserva aucune amertume. C’était un être d’amour. Je ne sais pas si les tragédies, si les tragi-comédies, si les romans qu’elle a laissés ont une valeur quelconque. Mais ses poésies, qui comprennent des églogues, des élégies, des madrigaux, des épigrammes, des fables, ne méritent pas d’être entièrement oubliées. On y trouvera des expressions, des tours qui, de son temps, étaient nouveaux. On y percevra des ronrons d’ardeur précieuse, des soupirs de passion raffinée, des cris de beau plaisir. Cela ne manque pas d’agrément. S’en plaindre serait malhonnête. Mais peut-être regrettera-t-on que madame de Villedieu ait davantage écouté, et nous fasse entendre davantage, son esprit que ses sens et ses sens que son cœur.