Mémoires de la vie de Henriette-Sylvie de Molière (1672-1674) : Fragment d'une lettre

Marie-Catherine de Villedieu, gravure de Charles Devrits (1845)

Mémoires de la vie de Henriette-Sylvie de Molière,
éd. M. Cuénin en coll. avec J. Chupeau, J. Lafond et F. Weil,
Publication du groupe d'étude du XVIIe siècle de l'Université Fr. Rabelais de Tours,
1977 (reprod. en fac. sim. de l'éd. de Paris, Barbin, 1702) :
 

 

FRAGMENT D'UNE LETTRE.


... J'amène avec moi une belle dame que vous connaissez, et qui me menace de me faire aller bien plus loin : elle a une étrange démangeaison de se revoir à Paris, mais je doute qu'elle puisse obtenir sur moi de me faire faire ce pas-là, outre que mes affaires me rappelleront bientôt à Toulouse. Je ne vais pas ainsi dans une ville où j'ai eu la folie de consentir qu'on me fît imprimer. Comme vous avez plus de prudence que moi, je vous laisse l'arbitre de tout ce qu'il faudra encore retrancher. Mais parlons d'autre chose : que votre libraire m'embarrasse avec ce qu'il me demande ; est-ce qu'il ne peut rien faire sans cela ? et puis de quoi veut-il que je lui compose une préface, je n'ai plus rien à dire aux lecteurs, et j'ai tout dit en leur abandonnant la belle histoire que vous faites imprimer : d'ailleurs je ne vois pas que son livre exige une grande justification ; et si je n'ai pu me dispenser d'y parler de quelques personnes vivantes, je crois qu'il n'y en a pas une, qui en un besoin, ne me pardonnât volontiers la liberté que j'ai prise, et à tout événement je serai le garant de l'ouvrage de ce côté-là. Je suis bien aise de ce que vous me mandez, qu'on le doit faire corriger par d'habiles gens, prenez garde seulement que ces habiles gens ne soient pas trop sérieux, car cela leur aiderait à y trouver beaucoup plus de fautes ; et on dit qu'il faut être un peu badin pour lire les badineries, ou du moins, qu'il les faut lire en badinant pour y avoir plus de plaisir. Je finis, car on m'attend pour achever de déjeuner: Adieu, Monsieur, vous êtes le plus obligeant du monde, et si j'avais du loisir, je ne finirais cette lettre que par de grands compliments que je vous ferais sur toutes les bontés que vous avez pour moi.

 

Voir aussi l'œuvre en ligne, le résumé et la page de titre de la traduction allemande (1680).